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LE VIEULX-PAR-CHEMINS.

rons et aultres picoreurs trez doctes. Ung iour, son pere luy dit que il faisoyt saige de se modeler sur eulx, pour ce que, s’il continuoyt ce trac de vie, il seroyt sur ses vieulx ans contrainct à picorer comme eulx, et comme eulx seroyt pourchassé par les gens de iustice. Ce qui feut vray, veu que, comme il ha esté dessus dict, il desamassa en peu de iours les escuz que son mesnaigier père avoyt acquis durant sa vie : il feit avecques les hommes comme avecques les passereaux, laissant ung chascun bouter la main en son sac, et contemplant en quelle graace et quelles fassons doulces on luy demandoyt à y puiser. Par ainsy, il en veit tost la fin. Quand le diable feut seul dedans le sac, Tryballot ne se monstra point soulcieux, disant que il ne vouloyt point se damner pour les biens de ce monde, et avoyt estudié la philosophie en l’eschole des oyseaulx.

Après s’estre amplement gaudy, il luy demoura de tous ses biens ung goubelet achepté au Landict et trois dez, mesnaige suffisant pour boire et iouer, d’autant que il alloyt sans estre encombré de meubles, comme sont les grans, qui ne sçavent cheminer sans charroys, tappis, leschefrittes et numbre infiny de varlets. Tryballot voulut veoir ses bons amis, ains ne rencontra plus aulcun de cognoissance, ce qui luy bailla congié de ne plus recognoistre personne. Quoy voyant, comme la faim luy aiguysoyt les dents, il délibéra prendre ung estat où il eust rien à faire et moult à gaigner. En y pensant, se remembra la graace des merles et passereaux. Lors le bon Tryballot esleut pour sien le mestier de requerir argent ez maisons en picorant. Dès le prime iour, les gens pitoyables luy en baillèrent, et Tryballot feut content, trouvant le mestier bon, sans advances ne chances maulvaises, au contraire, plein de commoditez. Il feit son estat de si grant cueur, que il agréa partout et receut mille consolations reffusées à gens riches. Le bon homme reguardoyt les gens de campaigne planter, semer, moissonner, vendanger, et se disoyt que ils laboroyent prou pour luy. Cil qui avoyt ung porc en son charnier luy en debvoyt ung lopin, sans que cettuy gardien de porc s’en doubtast. Tel cuysoyt ung pain en son four le cuisoyt pour Tryballot et ne le pensoyt nullement. Il ne prenoyt rien de force, au contraire, les gens luy disoyent des gracieusetez en le guerdonnant : — Tenez, mon Vieulx-par-chemins, reconfortez-vous. Ça va-t-il bien ? Allons ! prenez cecy, le chat l’ha entamé, vous l’acheverez.

Le Vieulx-par-chemins estoyt des nopces, baptesmes et aussy