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CONTES DROLATIQUES.

ce que les festes abundèrent, et aussy les oizifs et riches de tous costez, voire d’Orient. Par ainsy, les moissons, biens de la terre et aultres merceries feurent en vogue, les galères et naufs vindrent d’Asie, ce qui feit le Roy trez envié et le plus heureux roy du monde chrestien, pour ce que par ce train des chouses sa Court feut la plus en renom ez pays d’Europe. Ceste belle politique feut engendrée par l’accord parfaict de deux hommes qui s’entendoyent moult. L’ung avoyt cure des plaisirs et faisoyt luy-mesme les délices de la Royne, laquelle se produisoyt tousiours le visaige guay, pour ce que elle estoyt servie à la méthode de Touraine et animoyt tout du feu de son heur ; puis il veigloyt à tenir aussy le Roy en ioye en luy cherchant maistresses nouvelles et le gectant en mille amusemens ; aussy le Roy s’estomiroyt-il de la complaisance de la Royne, à laquelle, depuis l’abord en ceste isle du sire de Montsoreau, il ne touchioyt pas plus qu’un iuif ne touche à lard. Ainsy occupez la Royne et le Roy abandonnoyent le soing de leur royaulme à l’aultre amy, qui faisoyt les affaires du gouvernement, ordonnoyt les establissemens, tailloyt les finances, menant roide les gens de guerre et tout trez-bien, saichant où estoyent les deniers, les amenant au threzor, et préparant les grans emprinses dessus dicts.

Ce bel accord dura trois années, aulcuns disent quatre, ains les moynes de Sainct-Benoist ne grabelèrent point ceste date, laquelle demoure obscure autant que les raisons de la noise des deux amys. Verisimilement le Venitien eut la haulte ambition de regner sans aulcun controole ne conteste, et n’eut point la remembrance des services que luy rendoyt le Françoys. Ainsy se comportent les hommes ez Courts, veu que, suyvant ung dire de messire Aristoteles en ses œuvres, ce qui vieillit le plus esraument en ce monde est ung bienfaict, quoique l’amour estainct soit aulcunes fois bien rance. Doncques, se fiant en la parfaicte amitié de Leufroid, qui le nommoyt son compère et l’eust bouté en sa chemise, s’il l’eust voulu, le Venitien conceut de se deffaire de son amy en livrant au Roy le mystère de son cocquaige et