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CONTES DROLATIQUES.

ung rien se feust enfuie avecques ce Françoys si desgourd.

— La Vierge Marie est bien puissante au ciel, feit la Royne ; fasse l’amour que ie le sois comme elle !

— Bah ! ils devisent de la Vierge Marie, feit le Roy, qui par adventure estoyt venu les espier, esmeu par un traict de ialousie gecté en son cueur par ung courtizan de Sicile, furieux de la faveur subite de ce damné Françoys.

La Royne et le chevalier prindrent leurs mesures, et tout feut subtilement estably pour emplumaiger le morion du Roy d’ornemens invisibles. Le Françoys reioignit la Court, plut à tous et retourna dedans le palais de Pezare, auquel il dit que leurs fortunes estoyent faictes, pour ce que lendemain, en la nuict, il coucheroyt avecques la Royne. Ceste traisnée si rapide esblouyt le Venitien, lequel en bon amy s’inquiéta des senteurs fines, toiles de Brabant et aultres vestemens prétieux à l’usaige des roynes, desquels il arma son chier Gauttier, à ceste fin que la boëte feust digne de la drogue.

— O amy ! dis-moi, es-tu seur de ne point bronchier, d’y aller dru, de bien servir la Royne et luy donner de belles festes en son chasteau de Gallardin, que elle s’accroche à iamais à cettuy maistre baston, comme naufragiez à leurs planches ?

— Ores çà, ne crains rien, chier Pezare, pour ce que i’ay les arrérages de voyaige, et ie la quenouilleray à chiens renfermez, comme simple servante, en luy monstrant tous les usaiges des dames de Touraine, qui sçavent l’amour mieulx que toutes aultres, pour ce que elles le font, le refont et le deffont pour le refaire, et, l’ayant refaict, le font tousiours, et n’ont aultre chouse à faire que ceste chouse, qui veut tousiours estre faicte. Ores, accordons-nous. Vécy comme nous aurons le gouvernement de ceste isle. Ie tiendray la Royne, et toi le Roy ; nous iouerons la comédie d’estre grans ennemys aux yeulx des courtizans, à ceste fin de les diviser en deux parts soubz nostre commandement, et à l’insceu de tous, nous demourerons amys ; par ainsy nous sçaurons leurs trames, et les désiouerons, toy en prestant l’aureille à mes ennemys, et moy aux tiens. Doncques, à quelques iours d’huy, nous simulerons une noise pour nous bender l’ung contre l’aultre. Cette castille aura pour cause la faveur en laquelle ie te bouteray dedans l’esperit du Roy par le canal de la Royne, lequel te baillera le supresme pouvoir, à mon dam.

Lendemain, le bon Gauttier se coula chez la dame hespaignole,