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LA FORTUNE EST TOUSIOURS FEMELLE.

son pourpoinct. Adoncques il luy dit en quel estat estoyt la Sicile, où regnoyt le prince Leufroid et sa gente femme ; combien guallante estoyt leur Court, quelle courtoisie y flourissoyt ; que il y abundoyt d’Hespaigne, de France, d’Italie et aultres pays, des seigneurs à hault pennaige, moult appanaigez, force princesses autant riches que nobles et autant belles que riches ; que ce prince aspiroyt aux plus haultes visées, comme de conquester la Morée, Constantinopolis, Hiérusalem, terres du Soudan et aultres lieux affricquains ; aulcuns hommes de haulte compréhension tenoyent la main à ses affaires, convocquoyent le ban et arrière ban des fleurs de la chevalerie chrestienne et soubstenoyent ceste splendeur avecques intention de faire dominer sur la Méditerranée ceste Sicile tant opulente aux temps anticques, et ruyner Venise, laquelle n’avoyt pas ung poulce de terre. Ces desseins avoyent estez boutez en l’esperit du Roy par luy Pezare ; ains, encores que il feust bien en la faveur du prince, il se sentoyt foible, n’avoyt aulcun ayde parmy les courtizans, et soubhaitoyt faire ung amy. En ceste extresme poine, il estoyt venu se résouldre à ung sort quelconque en se pourmenant. Doncques pour ce que, en cettuy pensier, il avoyt faict rencontre d’ung homme de sens comme le chevalier luy avoyt prouvé estre, il luy prouposoyt de s’unir en frères, luy ouvroyt sa bourse, luy bailloyt son palais pour séiour ; ils iroyent tous deux de compaignie aux honneurs à travers les plaisirs sans se réserver aulcun pensier, et s’entre-aideroyent en toute occurrence comme frères d’armes en la croisade ; ores, veu que luy Françoys queroyt fortune et requeroyt assistance, luy Venitien cuydoyt ne point estre rebuté en ceste offre de mutuel resconfort.

— Encores que ie n’aye nul besoing d’aulcun ayde, feit le