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CONTES DROLATIQUES.

— Pour ce faire, besoing est que nous allions ensemblement ; ains vous estes à cheval, et moy suis à pied.

Le Venitien print le chevalier françoys en croupe et luy dit

— Devinez-vous avecques qui vous estes ?

— Avecques ung homme apparemment.

— Pensez-vous estre en seureté ?

— Si vous estiez larron, il fauldroyt avoir paour pour vous, feit le Françoys en boutant la cocquille d’ung poignard au cueur du Venitien.

— Ores bien, seigneur Françoys, vous me semblez ung homme de hault sçavoir et grant sens : saichez que ie suis ung seigneur estably en la Court de Sicile, ains seul, et que ie cherche ung amy. Vous me semblez estre en mesme occurrence, pour ce que, à veoir les apparences, vous n’estes pas cousin de vostre sort et paroissez avoir besoing de tout le monde.

— Seroys-ie plus heureux, si tout le monde avoyt affaire à moy ?

— Vous estes ung diable qui me faictes quinauld à chascun de mes mots. Par saint Marc ! seigneur chevalier, peut-on se fier à vous ?

— Plus que en vous-mesme, qui commencez nostre fédérale amitié par me trupher, veu que vous conduisez vostre cheval en homme qui sçayt son chemin, et vous vous disiez esguaré.

— Et ne me truphez-vous point, dit le Venitien, en faisant aller à pied ung saige de vostre ieunesse, et donnant à ung noble chevalier l’alleure d’ung vilain ? Vécy l’hostellerie : mes serviteurs ont faict nostre soupe.

Le Françoys saulta de dessus le cheval, et vint en l’hostellerie avecques le chevalier venitien, en agréant son souper. Adoncques tous deux s’attablèrent. Le Françoys s’escrima si déliberément des maschoires, tordit les morceaux avecques tant de hastiveté, que il monstra bien estre également docte en soupers, et le remonstra en vuydant les potz trez dextrement sans que son œil feust moins clair ni son entendouere dévallé. Aussy comptez que le Venitien se dict avoir faict rencontre d’ung fier enfant d’Adam, yssu de la bonne coste et non de la faulse. En copinant, le chevalier venitien se bendoyt à treuver aulcun ioinct pour sonder les secrets aposteumes des cogitations de son nouvel amy. Lors il recogneut que il luy feroyt quitter sa chemise plus tost que sa prudence, et iugea opportun d’acquester son estime en luy ouvrant