Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
494
CONTES DROLATIQUES.

seroyt advenu luy dire ung maulvais mot de ce mirouere de vertu, en lequel nul souffle n’avoyt esté aultre que le souffle yssu de ses lèvres coniugales et maritales, encores que elles feussent fresches et flatries. Pour estre vray de tout poinct, besoing de dire qu’à ceste saigesse ayda moult le petit gars, duquel s’occupa nuict et iour durant six années la iolie mère, laquelle en prime soin le nourrit de son laict et en feit pour elle le lieutenant d’ung amant, luy quittant ses mignons tettins, auxquels il mordoyt ferme, autant que il vouloyt, et il estoyt tousiours comme ung amant. Ceste bonne mère ne cogneut aultres lesbineries que celles de ses lèvres roses, n’eut aultres caresses que celles de ses petites menues mains qui couroyent sur elle comme pattes de souriz ioyeulses, ne lut aultre livre que ses mignons yeulx clairs où se miroyt le ciel bleu, n’entendit aultre musicque que celle de ses crys qui luy entroyent en l’aureille comme paroles d’ange. Comptez que elle le dodelinoyt tousiours, avoyt dès le matin envie de le baiser, le baisoyt le soir, et ce dict-on, se levoyt la nuict pour le mangier de bonnes caresses, se faisoyt petite comme il estoyt petit, l’educquoyt en parfaicte religion de maternité ; finablement, se comportoyt comme la meilleure et la plus heureuse mère qui feust au monde, sans faire tort à Nostre-Dame la Vierge, laquelle dut avoir peu d’esteuf à bien élever nostre Saulveur, veu que il estoyt Dieu. Ceste nourriture et le peu de goust de Berthe aux chouses du mariaige resiouissoyt fort le bon homme, veu que il n’auroyt sceu comment fournir à ung grant estat de lict, et s’adonnoyt à l’économie pour avoir l’estoffe d’ung deuxiesme enfant. Ces six années escheues, force feut à la mère de laschier son fils aux mains des escuyers et aultres gens auxquels messire de Bastarnay commit le soin de le fassonner rudement, à ceste fin que son héritier eust l’héritaige des vertus, qualitez, noblesses, couraige de la maison avecques les domaines et le nom. Lors moult ploura Berthe, à laquelle feut emblé son heur. De faict pour ce grant cueur de mère, ce ne estoyt rien avoir que de avoir ce fils bien aymé après les aultres, et durant aulcunes meschantes petites fuyardes heures. Aussy cheut-elle en grant mélancholie. Oyant ces pleurs, le bonhomme se bendoyt à luy en faire ung aultre, et n’en pouvoyt mais, ce qui faschioyt la paouvre dame, pour ce que, dit-elle, la fasson d’ung enfant l’ennuyoyt fort et luy coustoyt chier. Et cecy est vray, ou nulle doctrine ne est vraye, et besoing est de brusler les Evangiles comme faulsetez, si vous n’adiouxtez foy à ce dire naïf. Ce néantmoins,