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SUR LE MOYNE AMADOR.

la petite de Candé, entortillèrent le sire de Candé par mille beaulx discours pour terminer le procez. Il luy en feut moult dict par Madame, qui luy remonstroyt combien estoyt utile ung moyne en ung chasteau ; par Mademoiselle qui vouloyt doresenavant faire fourbir sa conscience tous les iours ; par la Damoiselle, qui tiroyt son père en la barbe et luy demandoyt que cettuy moyne demourast à Candé. Si iamais ung différend se vuydoyt, ce seroyt par le moyne ; le moyne estoyt de bon entendement, trez-doulx et saige comme ung sainct ; ce estoyt ung malheur que de estre ennemy d’ung moustier où se treuvoyent pareils moynes ; si tous les moynes estoyent comme cettuy-là, l’abbaye l’emporteroyt tousiours en tous lieux sur le chastel et le ruyneroyt, pour ce que le moyne estoyt trez-fort ; en fin de tout, elles estalèrent mille raisons qui estoyent comme ung déluge de paroles, lesquelles feurent si pluvialement déversées, que le sire céda, voyant que il ne auroyt point la paix léans tant que ceste affaire ne seroyt finée au dezir de ses femmes. Lors il manda le clerc qui escripvoyt pour luy, et aussy le moyne. Adoncques Amador le surprint estrangièrement en luy monstrant les chartres et lettres de créance qui empeschièrent le sire et son clerc de dilayer cet accord. Quand la dame de Candé les veit en train d’atermoyer le pourchaz, elle s’en alla dans la lingerie chercher ung beau drap fin pour en faire une robbe neufve pour le chier Amador. Ung chascun dans la maison avoyt veu combien estoyt usée sa robbe, et ce eust esté grant dommaige de laisser si bel outil de vengeance en si vilain sac. Ce feut à qui laboreroyt ce froc. Madame de Candé le coupa, la meschine feit le capuche, la damoiselle de Candé le voulut coudre, la petite damoiselle en print les manches. Puis toutes se mirent à la parfaire en si grant dezir de parer le moyne, que sa robbe feut preste pour le souper, comme aussy feut dressée la chartre de bon accord et scellée par le sire de Candé.

— Ha ! mon père, feit la dame, si vous nous aymez, vous vous repouserez de ce grant travail, en vous estuvant dedans ung bain que i’ay faict chauffer par Perrotte.

Amador feut doncques baingné en une eaue de senteur. Quand il en yssit, treuva sa robbe neufve de fine laine et de belles sandales, ce qui le monstra aux yeux de tous le plus glorieux moyne du monde.

Pendant ce les religieux de Turpenay, en grant paour d’Amador,