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CONTES DROLATIQUES.

— Abandonnez vostre ire, ma fille, feit le moyne. Il est commandé par l’Ecclise, au Pater noster, de pardonner les offenses d’aultruy envers nous, si nous avons cure du ciel, pour ce que Dieu pardoint ceulx qui ont aussy pardonné les aultres. Dieu ne se venge éternellement que des maulvais qui se sont vengez, ains guarde en son paradiz ceulx qui ont pardonné. De là vient le iubilé qui est ung grant iour de ioye, pour ce que les debtes et offenses sont remises. Aussy est-ce ung bon heur que de pardonner. Pardonnez, pardonnez ! le pardon est œuvre sacrosaincte. Pardonnez à monseigneur de Candé, qui vous bénira de vostre gracieuse miséricorde et vous aymera moult désormais. Ceste pardonnance vous restituera les fleurs de la ieunesse. Et cuydez, ma chiere belle ieune dame, que le pardon est par aulcunes foys une manière de soy venger. Pardonnez à vostre meschine, qui priera Dieu pour vous. Ainsy, Dieu, supplié par tous, vous aura soubz sa guarde et vous octroyera quelque brave lignée de masles pour ce pardon.

Ayant dict, le moyne print la main du sire, la bouta dedans celle de la dame en adiouxtant :

— Allez deviser sur ce pardon !

Puis coula dans l’aureille du seigneur ceste saige parole :

— Monseigneur, tirez vostre grant argument, et vous la fairez taire en le luy obiectant, pour ce que la bouche d’une femme ne est pleine de paroles que quand son pertuys est vuyde. Argumentez doncques, et par ainsy vous aurez tousiours raison sur la femme.

— Par le corps de Dieu ! il y ha du bon en ce moyne, feit le seigneur en soy retirant.

Alors que Amador se veit seul avecques la Perrotte, il luy tint ce discours :

— Vous estes en coulpe, ma mye, pour avoir voulu caïner ung paouvre serviteur de Dieu : aussy estes-vous soubz l’esclat de l’ire céleste qui tombera sur vous ; en quelque lieu que vous vous boutiez, elle vous suyvra tousiours et vous empoignera dans toutes vos ioincteures, mesmes après vostre mort, et vous cuira comme pastez dedans le four de l’enfer, où vous bouillonnerez éternellement, et, par ung chascun iour, recevrez sept cent mille millions de coups de fouet pour celluy que i’ay receu par vostre advis.

— Ha ! mon père, feit la meschine, laquelle se gecta au rez du