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SUR LE MOYNE AMADOR.

En ce disant, le bon moyne déflocqua legièrement sa ceincteure, en laquelle il estoyt gehenné, tant il parut esmeu de veoir les belles chouses que desdaingnoyt le seigneur de Candé.

— Si vous dictes vray, mon père, ie me remettray soubz vostre conduicte, feit-elle en saultant legièrement hors du lict. Vous estes, pour le seur, ung messaigier de Dieu, pour ce que vous avez veu en ung iour ce que ie n’ay point veu céans depuys un long temps.

Lors vint en compaignie dudict Amador, duquel point ne faillit à frosler ung petit la trez-saincte robbe, et feut si grantement férue de la treuver veridicque, que elle soubhaita rencontrer son espoux en faulte. De faict, elle l’entendit qui devisoyt du moyne en plein lict de sa meschine. Voyant ceste feslonie, elle entra dedans une cholère furieuse et ouvrit le bec pour la resouldre en parole, ce qui est une fasson propre aux femmes, et voulut faire ung train de diable paravant de livrer la fille à la iustice. Ains Amador luy dit que il seroyt plus saige de soy venger d’abord et de crier après.

— Vengez-moy doncques vitement, mon père, dit-elle, pour que ie puisse crier.

Sur ce, le moyne la vengea trez-monasticquement par une bonne grosse vengeance que elle s’indulgea coulamment comme ung ivrongne qui se met les lèvres à la champleure d’ung tonneau, veu que, quand une dame se venge, elle doibt s’enivrer de vengeance ou ne pas y gouster. Et feut vengée la chastelaine à ne pouvoir remuer, veu que rien ne superagite, ne faict haleter, ne brise autant que la cholère et la vengeance. Ains, encores que elle feust vengée, archivengée et multiplivengée, point ne voulut pardonner, à ceste fin de guarder le droict de se venger, ores cy, ores là, avecques ce moyne. Voyant ceste amour pour la vengeance, Amador luy promit de l’ayder à se revenger autant que dureroyt son ire, veu que il luy advoua cognoistre, en sa qualité de religieux contrainct à méditer sur la nature des chouses, ung numbre infini de modes, méthodes et fassons de praticquer la vengeance. Puis luy enseigna canonicquement combien il estoyt chrestien de soy venger, pour ce que, tout le long des Sainctes Escriptures, Dieu se iactoyt, supérieurement à toutes aultres qualitez, d’estre ung Dieu vengeur, et d’abundant nous demonstroyt, en l’endroict de l’enfer, combien est chouse royallement divine la vengeance, veu que sa vengeance est éterne. D’où suyvoyt que doibvent se venger les femmes et les religieux, soubz poine de ne