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CONTES DROLATIQUES.

corps, les bras, en vrays questionnaires, luy mirent du vin blanc en son goubelet en guyse d’eaue pour luy brouiller l’entendouere et mieulx iouyr de luy ; mais ils luy feirent boire sept brocs sans que il hoschast, rostast, hocquetast, pissast ou pettast, ce qui les espouvanta moult, veu que son œil demoura clair comme ung mirouere. Cependant, soustenus par ung resguard de leur seigneur, ils allèrent leur train, luy gecterent, en luy faisant la reverence des saulces en la barbe, et les luy essuyèrent à ceste seule fin de la luy violemment tirer. Puis le marmiteux qui servoyt ung chaudeau luy en baptiza le chief, eut cure de faire degouliner le bruslement le long de l’eschine du paouvre Amador, lequel endura ceste passion avecques doulceur, veu que l’esperit de Dieu estoyt en luy, et aussy, cuydez-le, l’espérance de finer le litige en tenant bon dedans le chastel. Ce neantmoins, la gent malivole s’esclatta si druement en rires et cocquasseries lors du baptesme graisseux baillé par le fils du queux au moyne beuvard, dont le sommelier dit avoir taschié de bouchier ainsy l’entendouere, que force feut à la dame de Candé de veoir au bas bout quelles chouses se traficquoyent. Lors la chastelaine aperceut Amador, lequel avecques un resguard de résignation parfaicte esmondoyt son visaige et voyoyt à tirer prouffict des gros os de bœuf qui luy avoyent esté mis en son plat d’estain. En cettuy moment, le bon moyne, qui avoyt dextrement baillé ung coup de coultel en ung gros vilain os, le print de ses deux mains poileues, le rompit net, et sugça la mouelle chaulde et la treuva de bon goust. « Vère, se dit en elle-mesme la dame de Candé, Dieu ha mis sa force en ce moyne. » Sur ce pensier, elle dit griefvement aux paiges, serviteurs et aultres, de ne point tormenter le religieux, auquel par mocquerie on servoyt force pommes brouies et aulcunes noix vereuses. Luy, voyant que la vieille damoiselle et son eschollière, que la dame et les meschines l’avoyent veu manouvrant l’os, rebroussa sa manche, leur monstra la triple nerveure de son bras, y posa les noix au poignet sur la bifurquation des veines, et les escrasa une à une, en les y tocquant de la paulme de sa main si vigoureusement, que il sembloyt que ce feussent neffles meures. Puis les crocquoyt-il soubz ses dents blanches comme dents de chien, brou, bois, fruict et tout, dont il faisoyt en moins de rien une purée que il avalloyt comme hydromel. Quand il ne eut plus devant luy que les pommes, il les emmortaiza entre deux doigts, desquels il se servit comme