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SUR LE MOYNE AMADOR.

au char de la Providence, à ceste fin que elle arrivast de bon matin ; que les trompes de Iericho ne se fabricquoyent plus en aulcun lieu du monde, et que Dieu avoyt eu tant de desplaisirs de sa création, que il n’y songioyt plus ; brief, mille et ung devis mondains qui estoyent doubtes et contumélies contre Dieu. En ceste deplourable conioncture, s’esmeut estrangierement ung moyne ayant nom Amador. Ce dict nom luy avoyt été imposé par raillerie, veu que sa personne offroyt ung vray pourtraict du faulx dieu Egipan. Il estoyt comme luy ventripotent, comme luy avoyt les iambes tortes, de bons bras poilus comme ceulx d’ung bourrel, ung dos faict à porter besace, ung visaige rouge comme une trogne d’ivrogne, les yeulx allumez, la barbe mal peignée, le front nud, et se treuvoyt si bombé de lard et de cuisine que vous l’auriez cuidé enchargié d’ung enfant. Faictes estat que il chantoyt matines sur les degrez de la cave, et disoyt vespres dedans les vignes du Seigneur. Le plus souvent demouroyt couchié comme ung gueux à playes, alloyt par la vallée fouziller, niaizer, benir les nopces, secouer les grappes, veoir esgoutter les filles maulgré les deffenses du sieur abbé. Finablement, ce estoyt ung pillard, ung traisnard, ung maulvais souldard de la milice ecclésiasticque, duquel nul en l’abbaye ne avoyt cure, et que laissoyt-on oisif par charité chrestienne, existimant qu’il estoyt fol. Amador, saichant que il s’en alloyt de la ruine de l’abbaye en laquelle il se rouloyt comme ung verrat en son tect, arressa son poil, se deporta de cy, de là, vint en chaque cellule, escouta dedans le réfectouere, fremit en ses babouines et dit que il se iactoyt de saulver l’abbaye. Il print cognoissance des poincts contestez, receut du sieur abbé licence d’atermoyer le procez, et par tout le Chapitre lui feut promise la vacquance du soubz-prieuré, s’il finoyt le litige. Puis s’en alla par la campaigne sans avoir nul soulcy des cruaultez et maulvais traitemens du sieur de Candé, disant que il portoyt en sa robbe de quoy le réduire. De faict, Amador s’en alla de son pied avecques sa robbe pour tout viaticque, mais aussy comptez que elle estoyt grasse à nourrir ung Minime. Il esleut pour aller devers le chastelain ung iour où il tomboyt de l’eaue à remplir les seilles de toutes les mesnaigieres, et arriva sans rencontrer quiconque, en veu de Candé, faict comme ung chien noyé, se coula bravement en la court, s’abrita soubz ung tect pour attendre que l’intempérance du ciel se feust calmée, et se mit sans paour devant la salle où debvoyt estre le sire de Candé. Ung serviteur