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CONTES DROLATIQUES.

Mon prevost, se cuydant pour le seur chancelier de France, s’il faisoyt bien sa charge, devalle du chasteau dans la ville, prend ses gens, arrive à l’hostel du seigneur, y plante ses estaffiers, bouche de sergens les yssues du logiz, l’ouvre de par le Roy à petit bruit, grimpe les degrez, demande aux serviteurs où se tient le seigneur, les met en arrest, y monte seul et frappe à l’huys de la chambre où les deux amans s’escrimoyent des armes que vous sçavez, et leur dict :

— Ouvrez ! de par le Roy nostre sire !

La bourgeoyse recogneut son espoux et se print à soubrire, veu que elle ne avoyt point attendu l’ordre du Roy pour faire ce qui estoyt dict. Ains après le rire vint la frayeur. Le seigneur prend son manteau, se couvre et vient à l’huysserie. Là, ne sçaichant point que il s’en alloyt de sa vie, se dict de la Court et de la maison de Monseigneur.

— Bah ! feit le prevost, i’ay des commandemens exprès de monseigneur le Roy, et, soubz peine de rebellion, vous estes tenu de me recepvoir incontinent.

Lors, le seigneur de sortir, en tenant l’huys :

— Que querez-vous ceans ?

— Ung ennemy du Roy nostre sire, que nous vous commandons nous livrer, oultre que vous debvez me suyvre avecques luy au chasteau.

— Cecy, songia le bon seigneur, est une traistrise de monsieur le connestable, auquel s’est reffusée ma chiere mye. Besoing est de nous tirer de ce guespier.

Lors, se virant devers le prevost, il risqua quitte ou double, en arraisonnant ainsy son sieur cocqu :

— Mon amy, vous sçavez que ie vous tiens pour guallant homme, autant que peut l’estre ung prevost en sa charge. Ores bien, puis-je me fier à vous. I’ay ceans couchiée avecques moy la plus iolie dame de la Court. Quant à des Angloys, ie n’en ay pas seulement de quoi faire le desieuner de monsieur de Richemonde, qui vous envoye en mon hostel. Cecy est (pour vous dire le fin) le déduict d’une gageure faicte entre moy et le sieur connestable, lequel est de moitié avecques le Roy. Tous deux ont gaigié cognoistre quelle estoyt la dame de mon cueur, et i’ay gaigié le contre. Nul plus que moy ne hait les Angloys, qui ont prins mes domaines de Picardie. Est-ce pas ung coup feslon que de mettre en ieu la iustice contre moy ? Ho ! ho ! monseigneur