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CONTES DROLATIQUES.

qui souvent use de clémence envers nous et ha des threzors infinis de miséricorde pour nos misères. Ores ie vous mettray, durant le restant de mes iours, chaque soir et chaque matin, en mes prières, et n’oublieray iamais avoir tenu mon heur de vostre charité, si voulez m’ayder à iouyr de ceste fille en légitime mariaige, sans garder en servaige les enfans à naistre de ceste union. Et pour ce, puis-je vous faire une boëte à mettre la saincte Eucharistie, si bien élaborée, enrichie d’or, pierreries et figures d’anges, aeslez, que aulcune aultre ne sera iamais ainsy dans la chrestienté, laquelle demourera unicque, vous resiouyra la veue et sera si bien la gloire de vostre autel, que les gens de la ville, les seigneurs estrangiers, tous accourront la veoir, tant magnificque sera-t-elle.

— Mon fils, respondit l’abbé, perdez-vous le sens ? Si vous estes résolu d’avoir ceste fille pour légitime espouse, vos biens et vostre personne seront acquestez au Chapitre de l’abbaye.

— Oui, monseigneur, ie suis affolez de ceste paouvre fille, et plus touchiez de sa misère et de son cueur tout chrestien que ie ne le suis de ses perfections ; mais ie suis, dit-il avecques larmes aux yeulx, encores plus estonné de vos duretez, et ie le dis quoique ie saiche mon sort entre vos mains. Oui, monseigneur, ie cognoys la loy. Ains, si mes biens doibvent tomber en vostre domaine, si ie deviens homme de corps, si ie perds ma maison et ma bourgeoysie, ie guarderay l’engin conquesté par mes labeurs et mes estudes, et qui gist là, feit-il en se cognant le front, en ung lieu où nul, fors Dieu, ne peut estre seigneur que moy. Et vostre abbaye entière ne sçauroyt payer les espéciales créations qui en sourdent. Vous aurez mon corps, ma femme, mes enfans ; mais rien ne vous baillera mon engin, pas mesmes les torteures, veu que ie suis plus fort que le fer n’est dur et plus patient que la douleur n’est grant.

Ayant dict, l’orphebvre, enraigé par le calme de l’abbé, qui sembloyt résolu d’acquester à l’abbaye les doublons de ce bonhomme, deschargia son poing sur une chaire en chesne, et la mit par petites eschardes, veu que elle s’esclatta comme soubz ung coup de massue.

— Voilà, monseigneur, quel serviteur vous aurez, et d’ung ouvrier de chouses divines ferez ung cheval de traict.

— Mon fils, respondit l’abbé, vous avez à tort brisé ma chaire et légierement iugé mon ame. Ceste fille est à l’abbaye, et non