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PERSEVERANCE D’AMOUR.

s’escria-t-elle en plourant aux genoilz de son homme. Ie vous aymeray toute ma vie, mais reprenez vostre vœu.

— Allons querir la vache, repartit l’orphebvre en la relevant sans oser la baiser encores, quoique la fille y feust bien dispose.

— Oui, feit-elle, car ie seroys battue.

Et vécy l’orphebvre de saulter après la damnée vache, qui se soulcioyt mie des amours ; ains elle feust tost prinse aux cornes et tenue comme en un estau par les mains du Tourangeau, qui pour un rien l’eust gectée par les aërs, comme festu.

— Adieu ! ma mye. Si vous allez en la ville, venez à mon logiz, prouche Sainct-Leu. Ie me nomme maistre Anseau et suis orphebvre de nostre seigneur le Roy de France, à l’imaige de sainct Éloy. Faictes-moi promesse d’estre en ce champ au prouchain iour de Dieu ; point ne fauldray à venir, encore qu’il tombast des hallebardes.

— Oui, mon bon seigneur. Pour ce saulteroys-ie aussy bien par-dessus les hayes, et, en recognoissance, vouldroys-ie estre à vous sans meschief, et ne vous causer aulcun dommaige, au prix de mon heur à venir. En attendant la bonne heure, ie prieray Dieu pour vous bien fort.

Puis elle demoura en pieds comme ung sainct de pierre, ne bougeant point, iusques à ce que elle ne veit plus le bourgeoys, qui s’en alloyt à pas lents, se virant par momens devers elle pour la resguarder. Et quand le bourgeoys feut loing et hors de ses yeulx, elle se tint là iusques à la nuictée, perdue en ses méditations, ne saichant point si elle n’avoyt point resvé ce qui luy estoyt advenu. Puis revint sur le tard au logiz, où elle feut battue pour s’estre desheurée, mais ne sentit point les coups. Le bon bourgeoys perdit le boire et le mangier, ferma son ouvrouer, féru de ceste fille, ne songiant que de ceste fille, voyant partout ceste fille et tout luy estoyt ceste fille. Ores doncques, dès lendemain dévalla vers l’abbaye en grant apprehension de parler au seigneur abbé. Puis, en chemin, pensa prudemment de soy mettre soubz la protection d’ung homme du Roy, et, dans ce pensier, retourna en la Court, qui lors estoyt en la ville. Ores, veu que il estoyt existimé de tous pour sa preudhomie, aymé pour ses œuvres mignonnes et ses complaisances, le chamberlan du Roy, auquel il avoyt esraument faict pour une dame de cueur ung drageoir d’or et de