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PERSEVERANCE D’AMOUR.

que ce Tourangeau estoyt homme à simples semelles, de naïf entendement, craignant Dieu d’abord, puis les voleurs, les seigneurs après, le tumulte par-dessus tout. Quoique il eust deux mains, iamais ne faisoyt que une seule chouse. Il avoyt ung parler doulx comme est celluy d’une espousée avant les nopces. Encores que le clergié, les gens d’armes et aultres ne le réputassent point sçavant, il sçavoyt bien le latin de sa mère et le parloyt correctement, sans se faire prier. Subsécutivement ceulx de Paris luy avoyent apprins à marcher droict, à ne point battre les buissons pour aultruy, à mesurer ses passions à l’aulne de ses revenus, à ne bailler à personne licence de luy prendre de son cuir pour se faire des cordons, à veigler au grain, à ne point se fier aux dessus de boëte, ne point dire ce que il faisoyt et faire ce que il disoyt, à ne laisser cheoir que de l’eaue, avoir plus de mémoire que n’en ont habituellement les mousches, à guarder sa poine pour luy seul et aussy son escarcelle, à ne point s’occuper des nuées par les rues, et vendre ses ioyaulx plus chier que ils ne luy coustoyent ; toutes chouses dont la saige observance luy donnoyt autant de sapience que besoing estoyt pour vendre à son oise et contentement. Ainsy faisoyt-il, sans gehenner personne. Et, advisant ce bon petit homme en son privé, beaucoup disoyent le voyant : « Par ma foy ! ie vouldroys estre cet orphebvre, encores que l’on m’obligeast à botter iusques au genoil les crottes de Paris durant une centaine d’années. » Autant auroyt valu soubhaiter estre roy de France, pour ce que l’orphebvre avoyt des bras quarrez, nerveux, poilus, et si merveilleusement durs, que, alors que il serroyt les poings, des tenailles manouvrées par le plus rude compaignon ne luy eussent ouvert la main. Comptez que ce que il tenoyt estoyt bien à luy. De plus, avoyt des dents à maschier du fer, ung estomach à le dissouldre, une fressure à le digérer, ung sphincter à l’expectorer sans deschireure, puis des espaules à soustenir le monde à l’instar de ce seigneur payen auquel estoyt iadis commis ce soing et que la venue de Iésus-Christ en ha, bien à temps, deschargié. Ce estoyt, à vray dire, ung de ces hommes faicts d’ung seul coup, et qui sont meilleurs, veu que ceulx auxquels besoing est de retouchier ne valent rien ainsy rapiecez et bastis en plusieurs foys. Brief, maistre Anseau estoyt un masle tainct en graine, à visaige de lion et soubz les sourcilz duquel sourdoyt ung resguard à fondre l’or, si le feu de sa forge luy avoyt faict