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CONTES DROLATIQUES.

les dames surtout, le trouvant riche de nature, l’estimoyent suffisamment guarny de sa belle ieunesse, de ses longs cheveulx noirs, yeulx clairs, et ne songioyent point à des carolus en songiant à ces chouses et au demourant. De faict, elles avoyent grantement raison, veu que ces advantaiges donnoyent à maint braguard de la Court beaulx domaines, carolus et tout.

Maulgré sa semblance de ieunesse, messer Angelo avoyt vingt années d’aage et n’estoyt point sot, avoyt ung grant cueur, de belles poësies en la teste, et de plus estoyt homme de haulte imagination. Mais en grant humilité en luy-mesme, et comme tous paouvres et souffreteux, restoyt esbahy en voyant le succez des ignares. Puis se cuydoyt mal fassonné de corps ou d’ame, et guardoyt en luy-mesme ses pensiers : ie faulx, veu que il les disoyt, en ses fresches nuictées, à l’umbre, à Dieu, au diable, à tout. Lors se lamentoyt de porter ung cueur si chauld, que, sans doubte aulcun, les femmes s’en garoyent comme d’ung fer rouge ; puis se racontoyt à lui-mesme en quelle ferveur auroyt une belle maistresse ; en quel honneur seroyt-elle en sa vie ; en quelle fidélité il s’attacheroyt à elle ; de quelle affection la serviroyt ; en quelle estude auroyt ses commandemens ; de quels ieux dissiperoyt les legiers nuages de sa tristesse mélancholicque aux iours où le ciel s’embruneroyt. Brief, s’en pourtrayctant une par imagination figuline, il se rouloyt à ses pieds, les baisoyt, amignottoyt, caressoyt, mangioyt, sugçoyt aussy réallement que ung prisonnier court à travers champs, en voyant les prées par un trou. Puis lui parloyt à l’attendrir ; puis, en grant perprinse, la serroyt à l’estouffer, la violoyt ung petit maulgré son respect, et mordoyt tout en son lict, de raige, querant ceste dame absente, plein de couraige à luy seul, et quinauld lendemain alors qu’il en passoyt une. Néantmoins, tout flambant de ses amours phantasques, il tapoyt derechief sur ses figures marmorines et engravoyt de iolis testins à faire venir l’eaue en la bouche de ces beaulx fruicts d’amour, sans compter les aultres chouses qu’il bomboyt, amenuizoyt, caressoyt de son ciseau, purifioyt de sa lime et contournoyt à faire comprendre l’usage parfaict de ces chouses à un cocquebin et le decocquebiner dans le iour. Et les dames souloyent se recognoistre en ces beaultez, et de messer Cappara toutes s’en-