Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
LE SUCCUBE.

le succube deubt estre livré à la iustice séculière, à ceste fin d’estre publicquement arse en ung buscher, pour une livre d’or ung villain, ne mesmes ung abbé, n’eust-il treuvé de logiz en la ville de Tours. La veille, beaucoup campèrent hors la ville soubz des tentes ou couchiez en la paille. Les vivres manquèrent, et plusieurs venus le ventre plein s’en retournèrent le ventre vuyd, n’ayant rien veu que flamber le feu de loing. Puis les maulvais garsons feirent de bons coups par les chemins.

La paouvre courtizane estoyt quasi morte. Ses cheveulx avoyent blanchy. Ce ne estoyt à vray dire que ung squelette à poine couvert de chair, et ses fers poisoyent plus qu’elle. Si elle avoyt eu de la ioye en sa vie, elle le payoyt moult en cettuy moment. Ceux qui la veirent passer disent que elle plouroyt et cryoyt à faire pitié aux plus acharnez après elle. Aussy, en l’ecclise, feut-on contrainct de luy mettre en la bouche ung baillon, que elle mordoyt comme ung lezard mord ung baston. Puis, le bourreau l’attacha à ung pieu pour la soustenir, veu que elle se laissoyt couler par momens et tomboyt faulte de force. Puis soubdain récuperoyt ung vigoureux poignet : car, ce néantmoins, elle put, ha-t-on dict, secouer ses chordes et s’évader en l’ecclise, où, en remembrance de son ancien mestier, elle grimpa trez agilement ez galeries d’en hault, en volant comme ung oyseau le long des colonnettes et frizes menues. Elle alloyt se saulver ez toicts, alors que ung souldard la visa de son arbalestre et luy planta sa flesche dedans la cheville du pied. Maulgré son pied demy-coupé, la paouvre fille courut encores par l’ecclise lestement sans en avoir cure, allant sur son os brisé, espandant son sang, tant grant paour elle avoyt des flammes du buscher. Enfin feut prinse et liée, et gectée en ung tombereau et menée au buscher, sans que aulcun l’ayt depuis entendue crier. Le conte de sa course dans l’ecclise aydoyt le menu populaire à croire que ce feust le diable, et aulcuns disoyent que elle avoyt volé par les aërs. Alors que le bourreau de la ville la gecta dedans le feu, elle feit deux ou trois saults horribles et tomba au fund des flammes du buscher, qui brusla le iour et la nuict. Lendemain soir, i’allay veoir s’il demouroyt quelque chouse de ceste gente fille si doulce, si aymante ; mais ie ne trouvai plus qu’ung paouvre fragment d’os stomachal, en lequel, maulgré ce grant feu, estoyt resté quelque peu d’humide, et que aulcuns disoyent tressaillir encores comme femme au déduict. Ie ne sçauroys, mon chier fils, dire les tristifications