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CONTES DROLATIQUES.

de toute sorte, et tous unis, chevillez, triballant. Lors, ma cavale à teste de Morisque me monstra, volant tousiours et galopant à travers les nuées, la terre couplée avecques le soleil, en une coniunction d’où sourdoyt ung germe d’estoilles ; et là chaque monde femelle faisant la ioye avecques ung monde masle. Ains au lieu de paroles comme en disent les créatures, les mondes suoyent d’ahan nos oraiges, lançoyent des esclairs et crioyent des tonnerres. Puis, montant tousiours, ie veis au-dessus des mondes la nature femelle de toutes chouses en amour avecques le prince du mouvement. Ores, par mocquerie, le succube me mit au cueur de ceste saillie horrificque et perpétuelle où ie feus perdu comme ung grain de sable en la mer. Là tousiours me disoyt ma blanche cavale : « Chevaulche, chevaulche, mon bon chevaulcheur, chevaulche ! Tout chevaulche ! » Ores, advisant le peu que estoyt ung prebstre en cettuy torrent de semences de mondes, où tousiours s’accointoyent, se chevaulchoyent avecques raige les métaulx, les pierres, les eaues, les aërs, les tonnerres, les poissons, les plantes, les animaulx, les hommes, les esperits, les mondes, les planettes, ie reniay la foy catholicque. Alors le succube, me monstrant ceste grant tache d’estoilles qui se veoit ez cieulx, me dit : « Ceste voye estre une goutte de semence céleste eschappée d’un grand flux des mondes en coniunction. » Là-dessus, ie chevaulchai derechief le succube en raige, à la lueur de mille millions d’estoilles ; et i’auroys voulu, chevaulchant, sentir la nature de ces mille millions de créatures. Lors, par ce grant effort d’amour, ie tombai perclus de tout poinct, en entendant ung grant rire infernal. Puis ie me veis en mon lict entouré de mes serviteurs, lesquels avoyent eu le couraige de lucter avecques le démon en gectant dedans le lict où i’estoys couchié ung plein seau d’eaue benoiste, et disant de ferventes prières à Dieu. Lors, i’eus à soustenir, maulgré ceste assistance, ung combat horrible avecques ledict succube, duquel les griphes me tenoyent le cueur, en me faisant endurer des maulx infinis. Encores que, ranimé par la voix de mes serviteurs, parens et amys, ie me bendasse à faire le signe sacré de la croix, le succube, posé en mon lict, au chevet, au pied, partout, s’occupoyt à me destendre les nerfs, rioyt, grimaçoyt, me mettoyt mille imaiges obscènes soubz les yeulx, et me donnoyt mille dezirs maulvais. Ce néantmoins, ayant eu pitié de moy, monseigneur l’archevesque feit venir les relicques de saint Gatien, et