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LE SUCCUBE.

charme d’ung démon duquel il avoyt faict la rencontre ez pays asiaticques de Damas, ou aultres lieux.

Ores doncques, ay laissé ma maison à ladicte dame incogneue suivant les clauses déduictes en la chartre du bail. Ledict seigneur du Bueil deffunct, ay néantmoins esté en ma maison à ceste fin de sçavoir de ladicte estrangiere si elle soubhaitoyt demourer en mon logiz ; et, avecques grant poine, devers elle feus mené par ung estrange homme my-nud, noir et à yeulx blancs. Lors ay veu ladicte Morisque en ung pourpriz reluysant d’or et de pierreries, esclairée par force lumières, iuz ung tapis d’Asie, où elle estoyt vestue de legier, avecques ung aultre gentilhomme qui ià perdoyt son ame, et n’ay point eu le cueur assez ferme pour la resguarder, veu que ses yeulx m’eussent incité à m’adonner à elle aussytost, pour ce que desià sa voix me grezilloyt au ventre, me remplissoyt la cervelle et me desbauchioyt l’ame. Oyant cela, par crainte de Dieu, et aussy de l’enfer, ay laschié pied soubdain, luy quittant ma maison autant que elle la cuyderoyt guarder, tant dangereux estoyt de veoir ce tainct moresque d’où sourdoyent diabolicques chaleurs, oultre ung pied plus menu que n’est licite à femme vraye de l’avoir, et d’entendre sa voix qui virvouchioyt au cueur ; et, de ce iour, n’ay plus eu cure d’aller à ma maison, en grant paour de cheoir en enfer. I’ay dict.


Au dict Tortebras avons lors représenté un sieur Abyssinien, Æthiopien ou Nubien, lequel, noir de la teste aux pieds, s’est treuvé desnué des chouses viriles dont sont habituellement fournis tous chrestiens, lequel ayant persévéré en son silence après avoir esté tormenté, gehenné à plusieurs foys, non sans moult geindre, ha esté convaincu de ne sçavoir parler le languaige de nostre pays. Et ledict Tortebras ha recogneu ce dict Abyssinien héréticque pour avoir esté en sa maison, de compaignie avecques ledict esperit démoniacque, et soupçonné d’avoir presté son ayde aux sortilèges.

Et ha ledict Tortebras confessé sa grant foy catholicque et déclairé ne sçavoir aultre chouse, si ce n’est aulcuns dires, lesquels estoyent cogneus de tous aultres, et desquels il ne avoyt esté nullement tesmoing, si ce n’est pour les avoir entendus.


Sur citation à luy donnée s’est approuché lors Mathieu, dict Cognefestu, iournalier, en la culture Sainct-Estienne, lequel,