Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
LA CHIÈRE NUICTÉE D’AMOUR.

chain veufvaige et de l’heure de la fuite, dont, du tout, elle feut bien contente, la bourgeoyse. Doncques, à la brune, les souldards de guette escartez par la Royne qui les envoya veoir un rayon de lune dont elle avoyt paour, vécy mes serviteurs de lever la grille en haste, et de huchier la dame, qui vint sans faulte et feut amenée au mur à monseigneur Sardini.

Mais la poterne close et l’Italian dehors avecques la dame, vécy la dame de gecter sa mante, vécy la dame de se changer en ung advocat, et vécy mon dict advocat d’estraindre au col son cocquard et de l’estrangler en le traisnant vers l’eaue pour le bouter au fund de la Loire ; et Sardini de se deffendre, crier, lucter, sans pouvoir se deffaire, maulgré son stylet, de ce diable en robbe. Puis se tut en tombant dedans ung bourbier, soubz les pieds de l’advocat, auquel il veit, à travers les patineries de ce combat diabolicque et à la lueur de la lune, le visaige moucheté du sang de sa femme. L’advocat, enraigé, quitta l’Italian, le cuydant mort, et aussy pour ce que accouroyent des serviteurs armez de flambeaux. Mais il eut le temps de saulter dedans la barque et de s’esloingner en grant haste.

De ce, la paouvre damoiselle Avenelles mourut seule, veu que monseigneur Sardini, mal estranglé, feut rencontré gizant, et revint de ce meurtre. Puis plus tard, comme chascun sçayt, espouza la belle Limeuil, après que ceste iolie fille eut accouchié dedans le cabinet de la Royne. Grant meschief que, par amitié, voulut celer la Royne-mère, et que, par grant amour, couvrit de mariaige Sardini, auquel Catherine bailla la belle terre de Chaumont-sur-Loire et aussy le chasteau. Mais il avoyt néantmoins esté si raigeusement estrainct, maltraicté, piétiné, escharbotté par le mary, que il ne feit point de vieulx os, et feut veufve en son printemps la belle Limeuil. Maulgré son ire, l’advocat ne feut point recherché. Bien au contraire, il eut l’engin de se faire comprendre au darrenier Édict de pacification parmy ceulx qui ne debvoyent point estre inquiétez, estant retourné aux Hugonneaux pour lesquels il s’employa en Allemaigne.

Paouvre dame Avenelles, priez pour son salut, pour ce que elle feut gectée on ne sçayt où, point n’eut de prières d’Ecclise, ni sépulture chrestienne. Las ! songiez à elle, dames dont les amours vont à bien.