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LA CHIÈRE NUICTÉE D’AMOUR.

en ceste affaire moitié figue, moitié raisin, ainsi qu’il appert d’abundant par ce présent conte. Cettuy procureur avoyt espouse une trez-gente bourgeoyse de Paris dont il estoyt ialoux à la tuer pour une fronsseure en ses draps de lict dont elle ne auroyt pas sceu rendre raison ; ce qui eust esté mal, pour ce que souvent il s’y rencontre d’honnestes plis ; mais elle ployoyt trez-bien ses toiles, et voilà tout. Comptez que, cognoissant le naturel assassin et maulvais de cet homme, estoyt-elle bien fidelle, la bourgeoyse, tousiours preste comme ung chandelier, rangée à son debvoir comme ung bahut qui iamais ne bouge et s’ouvre à commandement. Néantmoins l’advocat l’avoyt mise soubz la tutelle et l’œil clair d’une vieille meschine, douegna laide comme ung pot sans gueule, laquelle avoyt nourri le sieur Avenelles, et luy estoyt moult affectionnée. Paouvre bourgeoyse, pour tout heur en son froid mesnaige, souloyt aller à ses dévotions en l’ecclise de Sainct-Jehan, sur la place de Grève, où, comme ung chascun sçayt, le beau monde se donnoyt rendez-vous. Puis, en disant ses patenostres à Dieu, elle se resgalloyt par les yeulx de veoir tous ces guallans frisez, parez, ampoisez, allans, venans, fringuans comme de vrays papillons. Puis fina par trier, parmy eulx tous, ung gentilhomme amy de la Royne-mère, bel Italian, dont elle s’affola, pour ce qu’il estoyt dans le may de l’aage, noblement mis, de ioly mouvement, brave de mine, et estoyt tout ce que ung amant doibt estre pour donner de l’amour