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LE DANGIER D’ESTRE TROP COCQUEBIN.

fils en ung moustier, soubz la conduite et gouvernement d’ung homme renommé pour sa saincteté, lequel le nourrissoyt trez-chrestiennement selon le vœu du père, qui vouloyt, en veue de sa haulte ambition, en faire ung cardinal de mérite. Pour ce, le bon abbé tenoyt en chartre privée le dict ieune homme, le couchioyt à ses costez en sa cellule, ne laissoyt poulser aulcune maulvaise herbe en son esperit, l’éducquoyt en blancheur d’ame et vraye contrition, comme debvroyent estre tous prebstres. Ce dict clerc, à dix-neuf ans sonnez, ne cognoissoyt aultre amour que l’amour de Dieu ; aultre nature que celle des anges, lesquels n’ont point nos chouses charnelles, pour demourer en grant pureté, veu que, sinon, en useroyent-ils bien fort. Ce que ha redouté le Roy d’en hault, qui vouloyt avoir ses paiges tousiours nets. Bien luy en ha prins, pour ce que ses petites bonnes gens ne pouvant poculer ez cabarets et fousiller ez clappiers comme les nostres, il est divinement servy ; mais aussy, comptez qu’il est seigneur de tout. Doncques, en ce meschief, le sieur de Moncontour s’advisa de faire yssir son secund fils du cloistre, luy bailler la pourpre soldatesque et courtisanesque, au lieu et place de la pourpre ecclésiasticque. Puis se délibéra de le donner en mariaige à la dicte fille promise au mort, ce qui estoyt saigement pensé, pour ce que, tout cotonné de continence et farcy de toutes sortes comme estoyt le moynillon, l’espousée en seroyt bien servie et plus heureuse qu’elle n’auroyt esté avecques l’aisné, desià bien fourraigé, desconfict, flatry par les dames de la Court. Le frocquard desfrocqué, trez-moutonnièrement fassonné, suyvit les sacres voulentez de son père, et consentit au dict mariaige, sans sçavoir ce que estoyt d’une femme, ni, cas plus ardu, d’une fille. Par adventure, son voyaige ayant esté empesché par les troubles et marches des partis, ce cocquebin, plus cocquebin que n’est licite à ung homme d’estre cocquebin, ne vint au chasteau de Moncontour que la veille des nopces, qui s’y faisoyent avecques dispenses acheptées en l’archevesché de Tours. Besoing est de dire, en ce lieu, ce que estoyt l’espousée. Sa mère, veufve depuis un long temps, habitoyt le logiz de monsieur de Braguelongne, lieutenant civil du Chastelet de Paris, dont la femme d’icelluy vivoyt avecques le sieur de Lignieres, au grant scandale de cettuy temps. Mais ung chacun avoyt lors tant de solives en l’œil, que nul n’avoyt licence de veoir les chevrons ez yeulx d’aultry. Doncques, en chaque famille, les gens alloyent en la voye de perdition, sans s’esto-