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CONTES DRÔLATIQUES.

me contraignez point à une lucte qui se sçaura sans doubte aulcun. En ce moment, ie puis me retirer, et le sieur d’Hocquetonville ignorera la male heure que vous avez mise à tousiours en ma vie. Duc, vous resguardez trop le visaige des dames pour treuver le temps d’estudier en celluy des hommes, et vous ne cognoissez point quel serviteur est à vous. Le sire d’Hocquetonville se feroyt hascher pour vostre usaige, tant il est bien lié à vous, en mémoire de vos bienfaicts, et aussy pour ce que vous luy plaisez. Mais autant il ayme, autant il hait. Et ie le cuyde homme à vous deschargier, sans paour, ung coup de masse en vostre teste, pour tirer vengeance d’ung seul cry que vous me auriez contraincte à gecter. Soubhaitez-vous ma mort et la vostre, meschant ? Soyez acertené que mon tainct d’honneste femme ne sçait guarder ne taire mon bon ni maulvais heur. Ores bien, ne me lairrez-vous point yssir ? …

Et le braguard de siffler. Oyant ceste sifflerie, la bonne femme alla soubdain en la chambre de la Royne et y print, en ung lieu que elle sçavoyt, ung ferrement agu. Puis, alors que le duc entra pour s’enquérir de ce que vouloyt dire ceste fuite : — Quand vous passerez ceste raye, cria-t-elle en luy monstrant le planchier, ie me tueray.

Le duc, sans s’effrayer, print une chaire, se bouta iuz la solive, et commença des arraisonnemens de négociateur, ayant espoir d’eschauffer les esperits à ceste femme faulve, et la mettre au poinct de n’y veoir goutte, en luy remuant la cervelle, le cueur et le reste par les imaiges de la chouse. Doncques, il luy vint dire, avecques les fassons mignonnes dont les princes sont coustumiers, que d’abord les femmes vertueuses acheptoyent bien chier la vertu, veu que, en ceste fin de gaigner les chouses fort incertaines de l’advenir, elles perdoyent les plus belles iouyssances du présent, pour ce que les marys estoyent contraincts, par haulte politicque coniugale, de ne point leur descouvrir la boëte aux ioyaulx de l’amour, veu que cesdicts ioyaulx resluisoyent tant dans le cueur, avoyent si chauldes délices, si chatouilleuses voluptez, que une femme ne sçavoyt plus rester ez froides régions du mesnaige ; que ceste abomination maritale estoyt trez-feslonne, en ce que, pour le moins, ung homme debvoyt-il, en recognoissance de la saige vie d’une femme de bien et de ses tant cousteux mérites, s’eschiner, se bender, s’exterminer à la bien servir en toutes les fassons, pigeonneries, becquetaiges, rigolleries, beuvettes,