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CONTES DRÔLATIQUES.

la maison de Bourgongne, riche en domaines. Mais, par exception aux figures d’héritières, elle estoyt d’une beaulté si esclatante que, elle présente, toutes les dames de la Court, voire la Royne et madame Valentine, sembloyent estre dans l’umbre. Néantmoins ce ne estoyt rien, en la dame d’Hocquetonville, que sa parenté bourguignotte, ses hoyeries, sa ioliesse et mignonne nature, pour ce que ces rares adventaiges recevoyent ung lustre religieux de sa supresme innocence, belle modestie et chaste éducation. Aussy le duc ne flaira-t-il pas longtemps ceste fleur tombée du ciel sans en estre enfiebvré d’amour. Il cheut en mélancholie, ne se soulcia plus d’aulcun clappier, ne donna qu’à regret, de temps à aultre, ung coup de dent au friand morceau royal de son Allemande Isabeau, puis s’enraigea et iura de iouyr par sorcellerie, par force, par trupherie ou bonne voulenté, de ceste tant gracieuse femme, laquelle, par la vision de son mignon corps, le contraingnoyt à s’appréhender luy-mesme pendant ses nuicts devenues tristes et vuydes. D’abord la pourchassa trez-fort de paroles dorées ; mais bien tost cogneut à son air gay que, à part elle, estoyt conclud de demourer saige, veu que elle luy respondit, sans s’estomirer de la chouse, ni soy fascher comme font les femmes de court talon : — Mon seigneur, ie vous diray que ie ne veulx point m’incommoder de l’amour d’aultruy, non par mespris des ioyes qui s’y rencontrent, car bien cuisantes doibvent-elles estre, pour ce que si grant numbre de femmes s’y abysment, elles, leurs maisons, gloire, advenir et tout, mais par amour des enfans dont i’ay la charge. Point ne veulx mettre la rougeur en mon front, alors que ie rebattray mes filles de ce principe servateur : que dans la vertu sont pour nous les vrayes felicitez. De faict, mon seigneur, si nous avons plus de vieulx iours que de ieunes, à ceulx-là debvons-nous songier. De ceulx qui m’ont nourrie i’ai apprins à existimer réallement la vie, et sçays que tout en est transitoire, fors la sécurité des affections naturelles. Aussi ie veulx l’estime de tous, et par-dessus celle de mon espoux, lequel est pour moy le monde entier. Doncques ay-ie dezir d’estre honneste à ses yeulx. I’ay dict. Et vous supplie de me laisser vaquer en paix aux chouses de mon mesnaige, aultrement i’en refereroys sans vergongne à mon seigneur et maistre, qui se retireroyt de vous.

Ceste brave response amourachant davantaige le frère du Roy, il se délibéra d’empiéger ceste noble femme, à ceste fin de la posséder morte ou vifve, et ne doubta point de la mettre en son