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LES BONS PROUPOS.

l’entendre iapper, tousser, cracher, vous demander pardon ; à la veoir se tordre, suer, faire des yeulx tendres, et tout ce qu’elle aura idée de faire pour se soustraire à ceste opération ; mais ne vous en estonnez point. Raffermissez vostre couraige en songiant que vous agissez ainsy pour mettre une créature pervertie dedans la voye du salut. Alors vous prenez dextrement la fressure, le foye, les poumons, le cueur, le gezier, les parties nobles, puis vous trempez le tout à plusieurs reprinses dedans l’eau benoiste en les y lavant, les y purifiant, non sans implorer l’Esprit sainct de sanctifier l’intérieur de ceste beste. Enfin, vous remettez promptement toutes ces chouses intestines dans le corps de la puce impatiente de les recouvrer. Estant, par ce moyen, baptizée, l’ame de ceste créature devient catholicque. Aussitost vous allez quérir une aiguille et du fil, et recousez le ventre de la puce avecques les plus grans mesnagemens, avecques des esguards, des attentions, pour ce que vous en debvez à vostre sœur en Jésus-Christ. Vous priez mesmes pour elle, soing auquel vous la verrez sensible par les génuflexions et resguards attentifs que la dame vous adressera. Brief, elle ne criera plus, n’aura plus envie de vous mordre, et il s’en rencontre souvent qui meurent de plaisir d’estre ainsy converties à nostre saincte religion. Vous vous comportez de mesmes à l’esguard de toutes celles que vous prenez ; ce que voyant, les aultres s’en vont, après s’estre estomirées de la convertie, tant elles sont perverses et ont grant paour de devenir ainsy chrestiennes

— Et elles ont bien tort asseurément, dit la novice. Est-il ung plus grant bonheur que d’estre en religion ?

— Certes, reprint la sœur Ursule, ici nous sommes à l’abry des dangiers du monde, et de l’amour, où il s’en rencontre tant…

— Est-ce qu’il y en ha d’aultres que celluy de faire intempestivement ung enfant ? demanda une ieune sœur.

— Depuis le nouveau règne, respondit sœur Ursule en hochant la teste, l’amour ha hérité de la lèpre, du feu Sainct-Anthoine, du mal des Ardens, de la plicque rouge, et en ha pilé toutes les fiebvres, angoisses, drogues, souffrances, dans son ioly mortier, pour en faire yssir ung effroyable mal dont le diable ha donné la recepte heureusement pour les convens, pour ce qu’il y entre ung numbre infiny de dames espouvantées, lesquelles se font vertueuses par paour de cet amour.

Là-dessus, toutes se serrèrent les unes contre les aultres,