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CONTES DRÔLATIQUES.

collecteurs de véritez sçavent que ledict Roy estoyt ung bon petit homme en son privé, mesmes trez aimable ; et, avant de faire couper la teste à ses amys, ou de les punir, ce dont il n’avoyt espargne, besoing estoyt qu’ils l’eussent truphé beaucoup ; tousiours sa vengeance feut iustice. Ie n’ay veu que dans nostre ami Verville que ce digne souverain se soit trompé ; mais une foys n’est pas coustume ; et encores y ha-t-il plus de la faulte à Tristan, son compère, qu’à luy, Roy. Vécy le faict, tel que le relate ledict Verville, et ie soubçonne qu’il ha voulu rire. Ie le rapporte pour ce que aulcuns ne cognoyssent pas l’œuvre exquise de mon parfaict compatriote. I’abrège, et n’en donne que la substance, les destails estant plus amples, comme les sçavants n’en ignorent :

« Loys XI avoyt donné l’abbaye de Turpenay (dont est question dans Impéria) à ung gentilhomme qui, iouissant du revenu, se faisoyt nommer monsieur de Turpenay. Il advint que le Roy estant au Plessis-lez-Tours, le vray abbé, qui estoyt moyne, vint se présenter au Roy et luy feit sa requeste, luy remonstrant que canonicquement et monasticquement il estoyt pourveu de l’abbaye, et que le gentilhomme usurpateur luy faisoyt tort contre toute raison, et, partant, qu’il invocquoyt Sa Maiesté pour luy estre faict droict. En secouant sa perruque, le Roy luy promit de le rendre content. Ce moyne, importun comme tous animaulx portant cucule, venoyt souvent aux yssues du repas du Roy, lequel, ennuyé de l’eau benoiste du couvent, appela mon compère Tristan et luy dit : — « Compère, il y ha icy ung Turpenay qui me fasche, ostez-le-moy du monde. » Tristan, prenant ung froc pour ung moyne ou ung moyne pour ung froc, vint à ce gentilhomme que toute la Cour nommoyt monsieur de Turpenay ; et, l’ayant accosté, feit tant qu’il le destourna ; puis, le tenant, lui feit comprendre que le Roy vouloyt qu’il mourust. Il voulut résister en suppliant et supplier en résistant ; mais il n’y eut aulcun moyen d’estre ouy. Il feut délicatement estranglé entre la teste et les espaules, si qu’il expira ; et, trois heures après, le compère dit au Roy qu’il estoyt distillé. Il advint cinq iours après, qui est le terme auquel les ames reviennent, que le moyne vint en la salle où estoyt le Roy, lequel le voyant demoura fort estonné. Tristan estoyt présent. Le Roy l’appelle et luy souffle en l’aureille : — « Vous n’avez pas faict