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CONTES DRÔLATIQUES.

aureilles, tout desbrouillé, et la cervelle ouverte, comme est une pucelle le lendemain de ses nopces. Le procureur et le capitaine, prenant ces dires pour prophéties d’Evangile, tirèrent leurs révérences et sortirent du logiz, tout chicquanez des visées saugrenues du chanoine.

— Que penses-tu de Chiquon ? dit Pille-grue au Mau-cinge.

— Ie pense, ie pense, feit le souldard en grondant, que ie pense à m’embusquer dans la rue de Hiérusalem, pour luy mettre la teste en bas de ses pieds. Il la recollera, si bon luy, semble.

— Oh ! oh ! feit le procureur, tu as une fasson de blessure qui se recognoistroyt, et l’on diroyt : « C’est Cochegrue. » Moy, ie songeoys à le convier d’ung disner, après lequel nous iouerions à nous bouter dans ung sac, à ceste fin de veoir, comme chez le Roy, à qui marcheroyt mieulx ainsy accoustré. Puis, l’ayant cousu, nous le proiecterions dans la Seyne, en le priant de nager…

— Cecy veult estre bien meury, reprint le souldard.

— Oh ! c’est tout meur, feit l’advocat. Le cousin estant au diable, l’hoirie sera pour lors entre nous deux.

— Ie veulx bien, dit le batailleur. Mais besoing sera d’estre ensemble comme deux iambes d’ung mesme corps : car, si tu es fin comme soye, ie suis fort comme acier, et les dagues valent bien les lassets !… Oyez ça, mon bon frère…

— Oui !… feit l’advocat, la cause est entendue ; maintenant, sera-ce le fil ou le fer ?

— Eh ! ventre de Dieu, est-ce doncques ung roy que nous avons à deffaire ? Pour ung simple lourdaud de bergier, faut-il tant de paroles ? … Allons ! vingt mille francs sur l’hoirie à celluy de nous qui, premier, l’aura descoupé ! … Ie luy diray de bon foye : « Ramasse ta teste. »

— Et moy : « Nage, mon amy !… » s’escria l’advocat en riant comme la fente d’ung pourpoinct.

Puis ils s’en allèrent souper, le capitaine chez sa gouge, et l’advocat chez la femme d’ung orphebvre, de laquelle il estoyt l’amant.

Qui feut esbahy ? … Chiquon ! Le paouvre bergier entendoyt le deviz de sa mort, encores que ses deux cousins se pourmenassent dans le parviz et se parlassent l’ung à l’aultre, comme ung chascun parle à l’ecclise, en priant Dieu. Aussy, Chiquon estoyt fort en