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LA MYE DU ROY.

— Icy seront les confins du domaine du Roy. N’y entrez ; si le passez, ie ne vous faulx !

L’advocat, qui ne pensoyt pas faire l’amour avecques ce poignard, restoyt tout desconfict, mais, ores qu’il escoutoyt ce cruel arrest dont il avoyt desià payé les despens, ce bon mary voyoyt, par les deschireures, si bel eschantillon de cuisse rebondie, blanche et fresche, puis si brillante doubleure de mesnage bouchant les trous de la robbe, et cætera, que la mort lui sembla doulce, s’il y goustoyt seulement ung petit ; et alors se rua dedans le domaine du Roy, disant : « Peu me chauld de mourir ! » Et de faict, s’y gecta si dru, que la belle fille tomba fort mal sur le lict ; mais, ne perdant pas le sens, elle se deffendit si frétillamment, que l’advocat n’eut aultre licence que de touchier le poil de la beste ; encores y gaigna-t-il ung coup de poignard, qui lui trencha ung bon bout de lard sur l’eschine, sans trop le blesser : en foy de quoy il ne lui en cousta point trop chier d’avoir fait irruption dans le bien du Roy.

Mais, enyvré de ce chetif adventaige, il s’escria : — Ie ne sçauroys vivre sans avoir ce tant beau corps et ces merveilles d’amour ! Doncques, tuez-moi !

Et, de rechief, vint assaillir la réserve royale. La belle fille, qui avoyt son Roy en teste, ne feut point touchiée de ce grant amour, et dit griefvement : — Si vous menassez cela de vostre poursuite, ce n’est pas vous, ains moy, que ie tueray…

Et son resguard estoyt farouche assez pour espouvanter le paouvre homme, qui s’assit en déplourant ceste male heure, et passa la nuict, si tant ioyeulse à ceulx qui s’entr’ayment, en lamentations, prières, interiections et aultres promesses : comment elle seroyt servie ; pourroyt dissiper tout ; mangier dans l’or ; de simple damoiselle en feroyt une dame, en acheptant des seigneuries ; et finablement, que, si elle luy permettoyt de rompre une lance en l’honneur de l’amour, il la quitteroyt de tout et perdroyt la vie en la fasson qu’elle vouldroyt.

Mais elle, tousiours fresche, lui dit, au matin, qu’elle luy permettoyt de mourir, et que ce seroyt tout l’heur qu’il pouvoyt luy donner.

— Ie ne vous ay point truphé, feit-elle. Mesmes, à l’encontre de mes promesses, ie me baille au Roy, vous faisant graace des passans, lourdiers et charretons, dont ie vous menassoys.

Puis, quand le iour feut venu, elle se vestit de ses cottes et