Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/487

Cette page a été validée par deux contributeurs.
484
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

avait donné à Pierrette une chambre au-dessus du cabinet de son nouveau tuteur. Madame Lorrain y couchait sur un lit de sangle auprès de sa petite-fille. De sa fenêtre, Pierrette pouvait donc voir la magnifique vallée de Provins qu’elle connaissait à peine, elle était sortie si rarement de la fatale maison des Rogron ! Quand il faisait beau temps, elle aimait à se traîner au bras de sa grand’mère jusqu’à ce berceau. Brigaut, qui ne faisait plus rien, venait voir sa petite amie trois fois par jour, il était dévoré par une douleur qui le rendait sourd à la vie ; il guettait avec la finesse d’un chien de chasse monsieur Martener, il l’accompagnait toujours et sortait avec lui. Vous imagineriez difficilement les folies que chacun faisait pour la chère petite malade. Ivre de désespoir, la grand’mère cachait son désespoir, elle montrait à sa petite-fille le visage riant qu’elle avait à Pen-Hoël. Dans son désir de se faire illusion, elle lui arrangeait et lui mettait le bonnet national avec lequel Pierrette était arrivée à Provins. La jeune malade lui paraissait ainsi se mieux ressembler à elle-même : elle était délicieuse à voir, le visage entouré de cette auréole de batiste bordée de dentelles empesées. Sa tête, blanche de la blancheur du biscuit, son front auquel la souffrance imprimait un semblant de pensée profonde, la pureté des lignes amaigries par la maladie, la lenteur du regard et la fixité des yeux par instants, tout faisait de Pierrette un admirable chef-d’œuvre de mélancolie. Aussi l’enfant était-elle servie avec une sorte de fanatisme. On la voyait si douce, si tendre et si aimante ! Madame Martener avait envoyé son piano chez sa sœur, madame Auffray, dans la pensée d’amuser Pierrette, à qui la musique causa des ravissements. C’était un poème que de la regarder écoutant un morceau de Weber, de Beethoven ou d’Hérold, les yeux levés, silencieuse, et regrettant sans doute la vie qu’elle sentait lui échapper. Le curé Péroux et monsieur Habert, ses deux consolateurs religieux, admiraient sa pieuse résignation. N’est-ce pas un fait remarquable et digne également et de l’attention des philosophes et des indifférents, que la perfection séraphique des jeunes filles et des jeunes gens marqués en rouge par la Mort dans la foule, comme de jeunes arbres dans une forêt ? Qui a vu l’une de ces morts sublimes ne saurait rester ou devenir incrédule. Ces êtres exhalent comme un parfum céleste, leurs regards parlent de Dieu, leur voix est éloquente dans les plus indifférents discours, et souvent elle sonne comme un instrument divin, exprimant les secrets de l’avenir ! Quand monsieur Martener