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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

savait très bien que la petite fille allait avoir une fortune de sa grand’mère, il voulait la suborner. (Vinet osait parler de subornation !) Mademoiselle Rogron, qui tenait des lettres où éclatait la perversité de cette petite fille, n’était pas aussi blâmable que les Tiphaine voulaient le faire croire. Au cas où elle se serait permis une violence pour obtenir une lettre, ce qu’il expliquait d’ailleurs par l’irritation que l’entêtement breton avait causée à Sylvie, en quoi Rogron était-il répréhensible ?

L’avocat fit alors de ce procès une affaire de parti et sut lui donner une couleur politique. Aussi, dès cette soirée, y eut-il des divergences dans l’opinion publique.

— Qui n’entend qu’une cloche n’a qu’un son, disaient les gens sages. Avez-vous écouté Vinet ? Vinet explique très-bien les choses.

La maison de Frappier avait été jugée inhabitable pour Pierrette, à cause des douleurs que le bruit y causerait à la tête. Le transport de là chez le subrogé-tuteur était aussi nécessaire médicalement que judiciairement. Ce transport se fit avec des précautions inouïes et calculées pour produire un grand effet. Pierrette fut mise sur un brancard avec force matelas, portée par deux hommes, accompagnée d’une Sœur Grise qui avait à la main un flacon d’éther, suivie de sa grand’mère, de Brigaut, de madame Auffray et de sa femme de chambre. Il y eut du monde aux fenêtres et sur les portes pour voir passer ce cortège. Certes l’état dans lequel était Pierrette, sa blancheur de mourante, tout donnait d’immenses avantages au parti contraire aux Rogron. Les Auffray tinrent à prouver à toute la ville combien le Président avait eu raison de rendre son ordonnance. Pierrette et la grand’mère furent installées au second étage de la maison de monsieur Auffray. Le notaire et sa femme leur prodiguèrent les soins de l’hospitalité la plus large ; ils y mirent du faste. Pierrette eut sa grand’mère pour garde-malade, et monsieur Martener vint la visiter avec le chirurgien le soir même.

Dès cette soirée, les exagérations commencèrent donc de part et d’autre. Le salon des Rogron fut plein. Vinet avait travaillé le parti libéral à ce sujet. Les deux dames de Chargebœuf dînèrent chez les Rogron, car le contrat devait y être signé le soir. Dans la matinée, Vinet avait fait afficher les bans à la mairie. Il traita de misère l’affaire relative à Pierrette. Si le Tribunal de Provins y portait de la passion, la Cour Royale saurait apprécier les faits, disait-il, et les