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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Martener la marche à suivre. Monsieur Martener se chargea de dire à la grand’mère de Pierrette de venir porter plainte au subrogé-tuteur. Le subrogé-tuteur convoquerait le Conseil de Famille, et, armé de la consultation des trois médecins, demanderait d’abord la destitution du tuteur. L’affaire ainsi posée arriverait au Tribunal, et monsieur Lesourd verrait alors à porter l’affaire au criminel en provoquant une instruction. Vers midi, tout Provins était soulevé par l’étrange nouvelle de ce qui s’était passé pendant la nuit dans la maison Rogron. Les cris de Pierrette avaient été vaguement entendus sur la place, mais ils avaient peu duré ; personne ne s’était levé, seulement chacun s’était demandé : — Avez-vous entendu du bruit et des cris sur les une heure ? qu’était-ce ? Les propos et les commentaires avaient si singulièrement grossi ce drame horrible que la foule s’amassa devant la boutique de Frappier, à qui chacun demanda des renseignements, et le brave menuisier peignit l’arrivée chez lui de la petite, le poing ensanglanté, les doigts brisés. Vers une heure après midi, la chaise de poste du docteur Bianchon, auprès de qui se trouvait Brigaut, s’arrêta devant la maison de Frappier, dont la femme alla prévenir à l’hôpital monsieur Martener et le chirurgien en chef. Ainsi les propos de la ville reçurent une sanction. Les Rogron furent accusés d’avoir maltraité leur cousine à dessein et de l’avoir mise en danger de mort. La nouvelle atteignit Vinet au Palais-de-Justice, il quitta tout et alla chez les Rogron. Rogron et sa sœur achevaient de déjeuner. Sylvie hésitait à dire à son frère sa déconvenue de la nuit, et se laissait presser de questions sans y répondre autrement que par : — Cela ne te regarde pas. Elle allait et venait de sa cuisine à la salle à manger pour éviter la discussion. Elle était seule quand Vinet apparut.

— Vous ne savez donc pas ce qui se passe ? dit l’avocat.

— Non, dit Sylvie.

— Vous allez avoir un procès criminel sur le corps, à la manière dont vont les choses à propos de Pierrette.

— Un procès criminel ! dit Rogron qui survint. Pourquoi ? comment ?

— Avant tout, s’écria l’avocat en regardant Sylvie, expliquez-moi sans détour ce qui a eu lieu cette nuit, et comme si vous étiez devant Dieu, car on parle de couper le poing à Pierrette. Sylvie devint blême et frissonna. — Il y a donc eu quelque chose ? dit Vinet.