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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

Cette pauvre septuagénaire mourait de chagrin de vivre sans Pierrette auprès d’elle ; elle se consolait de l’avoir perdue en croyant s’être sacrifiée aux intérêts de sa petite fille. Elle avait un de ces cœurs toujours jeunes que soutient et anime l’idée du sacrifice. Son vieux mari, dont la seule joie était cette petite fille avait regretté Pierrette ; tous les jours il l’avait cherchée autour de lui. Ce fut une douleur de vieillard de laquelle les vieillards vivent et finissent par mourir. Chacun peut alors juger du bonheur que dut éprouver cette pauvre vieille confinée dans un hospice en apprenant une de ces actions rares, mais qui cependant arrivent encore en France. Après ses désastres, François-Joseph Collinet, chef de la maison Collinet, était parti pour l’Amérique avec ses enfants. Il avait trop de cœur pour demeurer ruiné, sans crédit, à Nantes, au milieu des malheurs que sa faillite y causait. De 1814 à 1824, ce courageux négociant, aidé par ses enfants et par son caissier, qui lui resta fidèle et lui donna les premiers fonds, avait recommencé courageusement une autre fortune. Après des travaux inouïs couronnés par le succès, il vint, vers la onzième année, se faire réhabiliter à Nantes en laissant son fils aîné à la tête de sa maison transatlantique. Il trouva madame Lorrain de Pen-Hoël à Saint-Jacques, et fut témoin de la résignation avec laquelle la plus malheureuse de ses victimes y supportait sa misère.

— Dieu vous pardonne ! lui dit la vieille, puisque sur le bord de ma tombe vous me donnez les moyens d’assurer le bonheur de ma petite-fille ; mais moi, je ne pourrai jamais faire réhabiliter mon pauvre homme !

Monsieur Collinet apportait à sa créancière capital et intérêts au taux du commerce, environ quarante-deux mille francs. Ses autres créanciers, commerçants actifs, riches, intelligents, s’étaient soutenus ; tandis que le malheur des Lorrain parut irrémédiable au vieux Collinet, qui promit à la veuve de faire réhabiliter la mémoire de son mari, dès qu’il ne s’agissait que d’une quarantaine de mille francs de plus. Quand la Bourse de Nantes apprit ce trait de générosité réparatrice, on y voulut recevoir Collinet, avant l’Arrêt de la Cour Royale de Rennes ; mais le négociant refusa cet honneur et se soumit à la rigueur du Code de Commerce. Madame Lorrain avait donc reçu quarante-deux mille francs la veille du jour où la Poste lui apporta les lettres de Brigaut. En donnant sa quittance, son premier mot fut : — Je pourrai donc vivre avec ma Pierrette et la