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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ciers étaient définitivement bannis. Le juge suppléant, l’archéologue Desfondrilles n’était d’aucun parti. Ce juge, comme quelques autres personnes indépendantes, racontait tout ce qu’il entendait dire par suite des habitudes de la province, et Vinet avait fait son profit de ces bavardages. Ce malicieux avocat envenima les plaisanteries de madame Tiphaine en les répétant. En révélant les mystifications auxquelles Rogron et Sylvie s’étaient prêtés, il alluma la colère et réveilla l’esprit de vengeance chez ces deux natures sèches qui voulaient un aliment pour leurs petites passions.

Quelques jours après, Vinet amena sa femme, personne bien élevée, timide, ni laide ni jolie, très-douce et sentant vivement son malheur. Madame Vinet était blonde, un peu fatiguée par les soins de son pauvre ménage, et très simplement mise. Aucune femme ne pouvait plaire davantage à Sylvie. Madame Vinet supporta les airs de Sylvie, et plia sous elle en femme accoutumée à plier. Il y avait sur son front bombé, sur ses joues de rose du Bengale, dans son regard lent et tendre, les traces de ces méditations profondes, de cette pensée perspicace que les femmes, habituées à souffrir, ensevelissent dans un silence absolu. L’influence du colonel, qui déployait pour Sylvie des grâces courtisanesques arrachées en apparence à sa brusquerie militaire, et celle de l’adroit Vinet, atteignirent bientôt Pierrette. Renfermée au logis ou ne sortant plus qu’en compagnie de sa vieille cousine, Pierrette, ce joli écureuil, fut à tout moment atteinte par : — Ne touche pas à cela, Pierrette ! et par ces sermons continuels sur la manière de se tenir. Pierrette se courbait la poitrine et tendait le dos ; sa cousine la voulait droite comme elle qui ressemblait à un soldat présentant les armes à son colonel ; elle lui appliquait parfois de petites tapes dans le dos pour la redresser. La libre et joyeuse fille du Marais apprit à réprimer ses mouvements, à imiter un automate.

Un soir, qui marqua le commencement de la seconde période, Pierrette, que les trois habitués n’avaient pas vue au salon pendant la soirée, vint embrasser ses parents et saluer la compagnie avant de s’aller coucher. Sylvie avança froidement sa joue à cette charmante enfant, comme pour se débarrasser de son baiser. Le geste fut si cruellement significatif, que les larmes de Pierrette jaillirent.

— T’es-tu piquée, ma petite Pierrette ? lui dit l’atroce Vinet.

— Qu’avez-vous donc ? lui demanda sévèrement Sylvie.