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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Adèle apporta l’un de ses serre-tête en apportant la bassinoire, et Pierrette, qui jusqu’alors avait couché dans des draps de grosse toile bretonne, fut surprise de la finesse et de la douceur des draps de coton. Quand la petite fut installée et couchée, Adèle, en descendant, ne put s’empêcher de s’écrier : — Son butin ne vaut pas trois francs, mademoiselle.

Depuis l’adoption de son système économique, Sylvie faisait rester dans la salle à manger sa servante, afin qu’il n’y eût qu’une lumière et qu’un seul feu. Mais quand le colonel Gouraud et Vinet venaient, Adèle se retirait dans sa cuisine. L’arrivée de Pierrette anima le reste de la soirée.

— Il faudra dès demain lui faire un trousseau, dit Sylvie, elle n’a rien de rien.

— Elle n’a que les gros souliers qu’elle a aux pieds et qui pèsent une livre, dit Adèle.

— Dans ce pays-là c’est comme ca, dit Rogron.

— Comme elle regardait sa chambre, qui n’est déjà pas si belle pour être celle d’une cousine à vous, mademoiselle !

— C’est bon, taisez-vous, dit Sylvie, vous voyez bien qu’elle en est enchantée.

— Mon Dieu, quelles chemises ! ça doit lui gratter la peau ; mais rien de ça ne peut servir, dit Adèle en vidant le paquet de Pierrette.

Maître, maîtresse et servante furent occupés jusqu’à dix heures à décider en quelle percale et de quel prix les chemises, combien de paires de bas, en quelle étoffe, en quel nombre les jupons de dessous, et à supputer le prix de la garde-robe de Pierrette.

— Tu n’en seras pas quitte à moins de trois cents francs, dit à sa sœur Rogron, qui retenait le prix de chaque chose et les additionnait de mémoire par suite de sa vieille habitude.

— Trois cents francs ? s’écria Sylvie.

— Oui, trois cents francs ! calcule.

Le frère et la sœur recommencèrent et trouvèrent trois cents francs sans les façons.

— Trois cents francs d’un seul coup de filet ! dit Sylvie en se couchant sur l’idée assez ingénieusement exprimée par cette expression proverbiale.

Pierrette était un de ces enfants de l’amour, que l’amour a doués de sa tendresse, de sa vivacité, de sa gaieté, de sa noblesse, de son