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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

devint alors entièrement gaie, il se recula de quelques pas, s’adossa contre un tilleul et chanta sur le ton traînant particulier aux gens de l’Ouest cette romance bretonne publiée par Bruguière, un compositeur à qui nous devons de charmantes mélodies. En Bretagne, les jeunes gens des villages viennent dire ce chant aux mariés le jour de leurs noces.


Nous v’nons vous souhaiter bonheur en mariage,
À m’sieur votre époux
Aussi ben comm’à vous.

On vient de vous lier, madam’ la mariée,
Avec un lien d’or
Qui n’délie qu’à la mort.

Vous n’irez plus au bal, à nos jeux d’assemblée ;
Vous gard’rez la maison
Tandis que nous irons.

Avez-vous ben compris comm’il vous fallait être
Fidèle à vot’époux
Faut l’aimer comme vous.

Recevez ce bouquet que ma main vous présente.
Hélas ! vos vains honneurs
Pass’ront comme ces fleurs.


Cette musique nationale, aussi délicieuse que celle adaptée par Châteaubriand à Ma sœur, te souvient-il encore ? chantée au milieu d’une petite ville de la Brie champenoise, devait être pour une Bretonne le sujet d’impérieux souvenirs, tant elle peint fidèlement les mœurs, la bonhomie, les sites de ce vieux et noble pays. Il y règne je ne sais quelle mélancolie causée par l’aspect de la vie réelle qui touche profondément. Ce pouvoir de réveiller un monde de choses graves, douces et tristes, par un rhythme familier et souvent gai, n’est-il pas le caractère de ces chants populaires qui sont les superstitions de la musique, si l’on veut accepter le mot superstition comme signifiant tout ce qui reste après la ruine des peuples et surnage à leurs révolutions. En achevant le premier couplet, l’ouvrier, qui ne cessait de regarder le rideau de la mansarde, n’y vit aucun mouvement. Pendant qu’il chantait le second, le calicot s’agita. Quand ces mots : Recevez ce bouquet, furent dits, apparut la figure d’une jeune fille. Une main blanche ouvrit avec précau-