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358 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

milieu du monde, dont vous êtes un des plus beaux ornements, et auquel vous donnez de saints exemples.

En ce moment, madame des Grassins se fit annoncer. Elle venait amenée par la vengeance et par un grand désespoir.

— Mademoiselle, dit-elle. Ah ! voici monsieur le curé. Je me tais, je venais vous parler d’affaires, et je vois que vous êtes en grande conférence.

— Madame, dit le curé, je vous laisse le champ libre.

— Oh ! monsieur le curé, dit Eugénie, revenez dans quelques instants, votre appui m’est en ce moment bien nécessaire.

— Oui, ma pauvre enfant, dit madame des Grassins.

— Que voulez-vous dire ? demandèrent mademoiselle Grandet et le curé.

— Ne sais-je pas le retour de votre cousin, son mariage avec mademoiselle d’Aubrion ?… Une femme n’a jamais son esprit dans sa poche.

Eugénie rougit et resta muette ; mais elle prit le parti d’affecter à l’avenir l’impassible contenance qu’avait su prendre son père.

— Eh ! bien, madame, répondit-elle avec ironie, j’ai sans doute l’esprit dans ma poche, je ne comprends pas. Parlez, parlez devant monsieur le curé, vous savez qu’il est mon directeur.

— Eh ! bien, mademoiselle, voici ce que des Grassins m’écrit. Lisez.

Eugénie lut la lettre suivante :

« Ma chère femme, Charles Grandet arrive des Indes, il est à Paris depuis un mois… »

— Un mois ! se dit Eugénie en laissant tomber sa main.

Après une pause, elle reprit la lettre.

« …Il m’a fallu faire antichambre deux fois avant de pouvoir parler à ce futur vicomte d’Aubrion. Quoique tout Paris parle de son mariage, et que tous les bans soient publiés… »

— Il m’écrivait donc au moment où… se dit Eugénie. Elle n’acheva pas, elle ne s’écria pas comme une Parisienne : « Le polisson ! » Mais pour ne pas être exprimé, le mépris n’en fut pas moins complet.

« …Ce mariage est loin de se faire ; le marquis d’Aubrion ne donnera pas sa fille au fils d’un banqueroutier. Je suis venu lui faire part des soins que son oncle et moi nous avons donnés aux affaires de son père, et des habiles manœuvres par lesquelles nous