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URSULE MIROUET.

pose le Parquet. Trois jours après, au milieu de la nuit, trois violons, une flûte, une guitare et un hautbois donnèrent une seconde sérénade. Cette fois les musiciens se sauvèrent du côté de Montargis, où se trouvait alors une troupe de comédiens. Une voix stridente et liquoreuse avait crié entre deux morceaux : « A la fille du capitaine de musique Mirouët ! » Tout Nemours apprit ainsi la profession du père d’Ursule, ce secret si soigneusement gardé par le vieux docteur Minoret.

Savinien n’alla point cette fois à Montargis ; il reçut dans la journée une lettre anonyme venue de Paris, où il lut cette horrible prophétie :

« Tu n’épouseras pas Ursule. Si tu veux qu’elle vive, hâte-toi de la céder à celui qui l’aime plus que tu ne l’aimes ; car il s’est fait musicien et artiste pour lui plaire, et préfère la voir morte à la savoir ta femme. »

Le médecin de Nemours venait alors trois fois par jour chez Ursule, que ces poursuites occultes avaient mise en danger de mort. En se sentant plongée par une main infernale dans un bourbier, cette suave jeune fille gardait une attitude de martyre : elle restait dans un profond silence, levait les yeux au ciel et ne pleurait plus, elle attendait les coups en priant avec ferveur et en implorant celui qui lui donnerait la mort.

— Je suis heureuse de ne pas pouvoir descendre dans la salle, disait-elle à messieurs Bongrand et Chaperon, qui la quittaient le moins possible ; il y viendrait, et je me sens indigne de recevoir les regards par lesquels il a coutume de me bénir ! Croyez-vous qu’il me soupçonne ?

— Mais si Savinien ne trouve pas l’auteur de ces infamies, il compte aller requérir l’intervention de la police de Paris, dit Bongrand.

— Les inconnus doivent me savoir frappée à mort, répondit-elle ; ils vont se tenir tranquilles.

Le curé, Bongrand et Savinien se perdaient en conjectures et en suppositions. Savinien, Tiennette, la Bougival et deux personnes dévouées au curé se firent espions et se tinrent sur leurs gardes pendant une semaine ; mais aucune indiscrétion ne pouvait trahir Goupil, qui machinait tout à lui seul. Le juge de paix, le premier, pensa que l’auteur du mal était effrayé de son ouvrage. Ursule arrivait à la pâleur, à la faiblesse des jeunes Anglaises en consomption.