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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

juge de paix. Le percepteur, gros petit homme aussi insignifiant qu’un percepteur doit l’être, et aussi nul qu’une femme d’esprit pouvait le souhaiter, foudroya son cohéritier Massin par un : — Quand je vous le disais !

Comme les gens doubles prêtent toujours aux autres leur duplicité, Massin regarda de travers le juge de paix qui causait en ce moment près de l’église avec le marquis du Rouvre, un de ses anciens clients.

— Si je savais cela, dit-il.

— Vous paralyseriez la protection qu’il accorde au marquis du Rouvre, contre lequel il est arrivé des prises de corps, et qu’il arrose en ce moment de ses conseils, dit Goupil en glissant une idée de vengeance au greffier. Mais filez doux avec votre chef : le bonhomme est fin, il doit avoir de l’influence sur votre oncle, et peut encore l’empêcher de léguer tout à l’Église.

— Bah ! nous n’en mourrons pas, dit Minoret-Levrault en ouvrant son immense tabatière.

— Vous n’en vivrez pas non plus, répondit Goupil en faisant frissonner les deux femmes qui plus promptement que leurs maris traduisaient en privations la perte de cette succession tant de fois employée en bien-être. Mais nous noierons dans les flots de vin de Champagne ce petit chagrin en célébrant le retour de Désiré, n’est-ce pas, gros père ? ajouta-t-il en frappant sur le ventre du colosse et s’invitant ainsi lui-même, de peur qu’on ne l’oubliât.

Avant d’aller plus loin, peut-être les gens exacts aimeront-ils à trouver ici par avance une espèce d’intitulé d’inventaire assez nécessaire d’ailleurs pour connaître les degrés de parenté qui rattachaient au vieillard, si subitement converti, ces trois pères de famille ou leurs femmes. Ces entre-croisements de races au fond des provinces peuvent être le sujet de plus d’une réflexion instructive.

À Nemours, il ne se trouve que trois ou quatre maisons de petite noblesse inconnue, parmi lesquelles brillait alors celle des Portenduère. Ces familles exclusives hantent les nobles qui possèdent des terres ou des châteaux aux environs, et parmi lesquels on distingue les d’Aiglemont, propriétaires de la belle terre de Saint-Lange, et le marquis du Rouvre, dont les biens criblés d’hypothèques étaient guettés par les bourgeois. Les nobles de la ville sont sans fortune. Pour tous biens, madame de Portenduère possédait une ferme de quatre mille sept cents francs de rente, et sa maison