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URSULE MIROUET.

nocence, pour la candeur de cette enfant dont l’excessive sensibilité, souvent éprouvée, lui avait appris qu’une expression dure, un air froid ou des alternatives de douceur et de brusquerie pouvaient la tuer. Les grandes hardiesses des deux amants se commettaient en présence des vieillards, le soir. Deux années, pleines de joies secrètes, se passèrent ainsi, sans autre événement que les tentatives inutiles du jeune homme pour obtenir le consentement de sa mère à son mariage avec Ursule. Il parlait quelquefois des matinées entières, sa mère l’écoutait sans répondre à ses raisons et à ses prières, autrement que par un silence de Bretonne ou par des refus. À dix-neuf ans, Ursule, élégante, excellente musicienne et bien élevée, n’avait plus rien à acquérir : elle était parfaite. Aussi obtint-elle une renommée de beauté, de grâce et d’instruction qui s’étendit au loin. Un jour, le docteur eut à refuser la marquise d’Aiglemont qui pensait à Ursule pour son fils aîné. Six mois plus tard, malgré le profond secret gardé par Ursule, par le docteur et par madame d’Aiglemont, Savinien fut instruit par hasard de cette circonstance. Touché de tant de délicatesse, il argua de ce procédé pour vaincre l’obstination de sa mère qui lui répondit : — Si les d’Aiglemont veulent se mésallier, est-ce une raison pour nous ?

Au mois de décembre 1834, le pieux et bon vieillard déclina visiblement. En le voyant sortir de l’église, la figure jaune et grippée, les yeux pâles, toute la ville parla de la mort prochaine du bonhomme, alors âgé de quatre-vingt-huit ans. — Vous saurez ce qui en est, disait-on aux héritiers. En effet, le décès du vieillard avait l’attrait d’un problème. Mais le docteur ne se savait pas malade, il avait des illusions, et ni la pauvre Ursule, ni Savinien, ni le juge de paix, ni le curé ne voulaient par délicatesse l’éclairer sur sa position ; le médecin de Nemours, qui le venait voir tous les soirs, n’osait lui rien prescrire. Le vieux Minoret ne sentait aucune douleur, il s’éteignait doucement. Chez lui l’intelligence demeurait ferme, nette et puissante. Chez les vieillards ainsi constitués, l’âme domine le corps et lui donne la force de mourir debout. Le curé, pour ne pas avancer le terme fatal, dispensa son paroissien de venir entendre la messe à l’église, et lui permit de lire les offices chez lui ; car le docteur accomplissait minutieusement ses devoirs de religion : plus il alla vers la tombe, plus il aima Dieu. Les clartés éternelles lui expliquaient de plus en plus les difficultés de tout genre. Au commen-