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drait Satan, n’a pas encore trouvé le moyen d’avoir à crédit un chapeau ! Quand nous aurons mis à la mode des chapeaux qui vaudront mille francs, les chapeaux seront possibles ; mais jusque-là, nous devrons toujours avoir assez d’or dans nos poches pour payer un chapeau. Ah ! quel mal la Comédie-Française nous a fait avec ce : — Lafleur, tu mettras de l’or dans mes poches ! Je sens donc profondément toutes les difficultés de l’exécution de cette demande : joins une paire de bottes, une paire d’escarpins, un chapeau, six paires de gants, à l’envoi du tailleur ! C’est demander l’impossible, je le sais. Mais la vie littéraire n’est-elle pas l’impossible mis en coupe réglée ?… Je ne te dis qu’une seule chose : opère ce prodige en faisant un grand article ou quelque petite infamie, je te quitte et décharge de ta dette. Et c’est une dette d’honneur, mon cher, elle a douze mois de carnet : tu en rougirais, si tu pouvais rougir. Mon cher Lousteau, plaisanterie à part, je suis dans des circonstances graves. Juges-en par ce seul mot : la Seiche est engraissée, elle est devenue la femme du Héron, et le Héron est préfet d’Angoulême. Cet affreux couple peut beaucoup pour mon beau-frère que j’ai mis dans une situation affreuse, il est poursuivi, caché, sous le poids de la lettre de change !… Il s’agit de reparaître aux yeux de madame la préfète et de reprendre sur elle quelque empire à tout prix. N’est-ce pas effrayant à penser que la fortune de David Séchard dépende d’une jolie paire de bottes, de bas de soie gris à jour (ne va pas les oublier), et d’un chapeau neuf !… Je vais me dire malade et souffrant, me mettre au lit comme fit Duvicquet, pour me dispenser de répondre à l’empressement de mes concitoyens. Mes concitoyens m’ont donné, mon cher, une très-belle sérénade. Je commence à me demander combien il faut de sots pour composer ce mot : mes concitoyens, depuis que j’ai su que l’enthousiasme de la capitale de l’Angoumois avait eu quelques-uns de mes camarades de collége pour boute-en-train.

» Si tu pouvais mettre aux Faits-Paris quelques lignes sur ma réception, tu me grandirais ici de plusieurs talons de botte. Je ferais d’ailleurs sentir à la Seiche que j’ai, sinon des amis, du moins quelque crédit dans la Presse parisienne. Comme je ne renonce à rien de mes espérances, je te revaudrai cela. S’il te fallait un bel article de fond pour un recueil quelconque, j’ai le temps d’en méditer un à loisir. Je ne te dis plus qu’un mot, mon cher