Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/508

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand l’abbé Marron déboucha sur la place du Mûrier, il y trouva les trois hommes, remarquables chacun dans leur genre, qui pesaient de tout leur poids sur l’avenir et sur le présent du pauvre prisonnier volontaire : le père Séchard, le grand Cointet, le petit avoué maigrelet. Trois hommes, trois cupidités ! mais trois cupidités aussi différentes que les hommes. L’un avait inventé de trafiquer de son fils, l’autre de son client, et le grand Cointet achetait toutes ces infamies en se flattant de ne rien payer. Il était environ cinq heures, et la plupart de ceux qui revenaient dîner chez eux s’arrêtaient pour regarder pendant un moment ces trois hommes.

— Que diable le vieux père Séchard et le grand Cointet ont-ils donc à se dire ?… pensaient les plus curieux.

— Il s’agit sans doute entre eux de ce pauvre malheureux qui laisse sa femme, sa belle-mère et son enfant sans pain, répondait-on.

— Envoyez donc vos enfants apprendre un état à Paris ! disait un esprit-fort de province.

— Hé ! que venez-vous faire par ici, monsieur le curé ? s’écria le vigneron en apercevant l’abbé Marron aussitôt qu’il déboucha sur la place.

— Je viens pour les vôtres, répondit le vieillard.

— Encore une idée de mon fils !… dit le vieux Séchard.

— Il vous en coûterait bien peu de rendre tout le monde heureux, dit le prêtre en indiquant les fenêtres où madame Séchard montrait entre les rideaux sa belle tête ; car elle apaisait les cris de son enfant en le faisant sauter et lui chantant une chanson.

— Apportez-vous des nouvelles de mon fils, dit le père, ou, ce qui vaudrait mieux, de l’argent ?

— Non, dit monsieur Marron ; j’apporte à la sœur des nouvelles du frère.

— De Lucien ?… s’écria Petit-Claud.

— Oui. Le pauvre jeune homme est venu de Paris à pied. Je l’ai trouvé chez Courtois mourant de fatigue et de misère, répondit le prêtre… Oh ! il est bien malheureux !

Petit-Claud salua le prêtre et prit le grand Cointet par le bras en disant à haute voix : — Nous dînons chez madame de Sénonches, il est temps de nous habiller !… Et à deux pas il lui dit à l’oreille :