Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/496

Cette page a été validée par deux contributeurs.

afin ne pas en embarrasser mon père, et sache que les pères ont toujours raison.

Kolb s’en alla grommelant comme un chien qui, grondé par son maître pour sa prudence, proteste encore en obéissant. David, sans dire ses secrets, offrit alors à son père de lui donner la preuve la plus évidente de sa découverte, en lui proposant un intérêt dans cette affaire pour prix des sommes qui lui devenaient nécessaires, soit pour se libérer immédiatement, soit pour se livrer à l’exploitation de son secret.

— Eh ! comment me prouveras-tu que tu peux faire avec rien du beau papier qui ne coûte rien ? demanda l’ancien typographe en lançant à son fils un regard aviné, mais fin, curieux, avide. Vous eussiez dit un éclair sortant d’un nuage pluvieux, car le vieil ours, fidèle à ses traditions, ne se couchait jamais sans être coiffé de nuit. Son bonnet de nuit consistait en deux bouteilles d’excellent vin vieux que, selon son expression, il sirotait.

— Rien de plus simple, répondit David. Je n’ai pas de papier sur moi, je suis venu par ici pour fuir Doublon ; et, me voyant sur la route de Marsac, j’ai pensé que je pourrais bien trouver chez vous les facilités que j’aurais chez un usurier. Je n’ai rien sur moi que mes habits. Enfermez-moi dans un local bien clos, où personne ne puisse pénétrer, où personne ne puisse me voir, et…

— Comment, dit le vieillard en jetant à son fils un effroyable regard, tu ne me laisseras pas te voir faisant tes opérations…

— Mon père, répondit David, vous m’avez prouvé qu’il n’y avait pas de père dans les affaires…

— Ah ! tu te défies de celui qui t’a donné la vie.

— Non, mais de celui qui m’a ôté les moyens de vivre.

— Chacun pour soi, tu as raison ! dit le vieillard. Eh ! bien, je te mettrai dans mon cellier.

— J’y entre avec Kolb, vous me donnerez un chaudron pour faire ma pâte, reprit David sans avoir aperçu le coup d’œil que lui lança son père, puis vous irez me chercher des tiges d’artichaut, des tiges d’asperges, des orties à dard, des roseaux que vous couperez aux bords de votre petite rivière. Demain matin, je sortirai de votre cellier avec du magnifique papier.

— Si c’est possible… s’écria l’Ours en laissant échapper un hoquet, je te donnerai peut-être… je verrai si je puis te donner…