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lique au milieu de laquelle se trouve le filigrane qui donne son nom au papier. De la grandeur de la forme dépend alors la grandeur du papier.

— Eh ! bien, comment as-tu fait ces essais ? dit Ève à David.

— Avec un vieux tamis en crin que j’ai pris à Marion, répondit-il.

— Tu n’es donc pas encore content ? demanda-t-elle.

— La question n’est pas dans la fabrication, elle est dans le prix de revient de la pâte ; car je ne suis qu’un des derniers entrés dans cette voie difficile. Madame Masson, dès 1794, essayait de convertir les papiers imprimés en papier blanc ; elle a réussi, mais à quel prix ! En Angleterre, vers 1800, le marquis de Salisbury tentait, en même temps que Séguin en 1801, en France, d’employer la paille à la fabrication du papier. Une foule de grands esprits a tourné autour de l’idée que je veux réaliser. Dans le temps où j’étais chez messieurs Didot, on s’en occupait déjà comme on s’en occupe encore ; car aujourd’hui le perfectionnement cherché par ton père est devenu l’une des nécessités les plus impérieuses de ce temps-ci. Voici pourquoi. Le linge de fil est, à cause de sa cherté, remplacé par le linge de coton. Quoique la durée du fil, comparée à celle du coton, rende, en définitive, le fil moins cher que le coton, comme il s’agit toujours pour les pauvres de sortir une somme quelconque de leurs poches, ils préfèrent donner moins que plus, et subissent, en vertu du væ victis ! des pertes énormes. La classe bourgeoise agit comme le pauvre. Ainsi le linge de fil va manquer, et l’on sera forcé de se servir de chiffons de coton. Aussi l’Angleterre, où le coton a remplacé le fil chez les quatre cinquièmes de la population, a-t-elle commencé à fabriquer le papier de coton. Ce papier, qui d’abord a l’inconvénient de se couper et de se casser, se dissout dans l’eau si facilement qu’un livre en papier de coton s’y mettrait en bouillie en y restant un quart d’heure, tandis qu’un vieux livre ne serait pas perdu en y restant deux heures. On ferait sécher le vieux livre ; et, quoique jauni, passé, le texte en serait encore lisible, l’œuvre ne serait pas détruite. Nous arrivons à un temps où, les fortunes diminuant par leur égalisation, tout s’appauvrira : nous voudrons du linge et des livres à bon marché, comme on commence à vouloir de petits tableaux, faute d’espace pour en placer de grands. Les chemises et les livres ne dureront pas, voilà tout. La solidité des produits s’en va de toutes parts. Aussi le problème