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primerie de David avait été désertée par les ouvriers jusqu’alors nécessaires à ses travaux, et qui s’en allèrent un à un. Accablés de besogne, les frères Cointet employaient non-seulement les ouvriers du département alléchés par la perspective de faire chez eux de fortes journées, mais encore quelques-uns de Bordeaux, d’où venaient surtout les apprentis qui se croyaient assez habiles pour se soustraire aux conditions de l’apprentissage. En examinant les ressources que pouvait présenter l’imprimerie Séchard, Ève n’y trouva plus que trois personnes. D’abord l’apprenti que David se plaisait à former chez les Didot, comme font presque tous les protes qui, dans le grand nombre d’ouvriers auquel ils commandent, s’attachent plus particulièrement à quelques-uns d’entre eux ; David avait emmené cet apprenti, nommé Cérizet, à Angoulême, où il s’était perfectionné ; puis Marion, attachée à la maison comme un chien de garde ; enfin Kolb, un Alsacien, jadis homme de peine chez messieurs Didot. Pris par le service militaire, Kolb se trouva par hasard à Angoulême, où David le reconnut à une revue, au moment où son temps de service expirait. Kolb alla voir David et s’amouracha de la grosse Marion en découvrant chez elle toutes les qualités qu’un homme de sa classe demande à une femme : cette santé vigoureuse qui brunit les joues, cette force masculine qui permettait à Marion de soulever une forme de caractères avec aisance, cette probité religieuse à laquelle tiennent les Alsaciens, ce dévouement à ses maîtres qui révèle un bon caractère, et enfin cette économie à laquelle elle devait une petite somme de mille francs, du linge, des robes et des effets d’une propreté provinciale. Marion, grosse et grasse, âgée de trente-six ans, assez flattée de se voir l’objet des attentions d’un cuirassier haut de cinq pieds sept pouces, bien bâti, fort comme un bastion, lui suggéra naturellement l’idée de devenir imprimeur. Au moment où l’Alsacien reçut son congé définitif, Marion et David en avaient fait un ours assez distingué, qui ne savait néanmoins ni lire ni écrire.

La composition des ouvrages dits de ville ne fut pas tellement abondante pendant ce trimestre que Cérizet n’eût pu y suffire. À la fois compositeur, metteur en pages, et prote de l’imprimerie, Cérizet réalisait ce que Kant appelle une triplicité phénoménale : il composait, il corrigeait sa composition, il inscrivait les commandes, et dressait les factures ; mais, le plus souvent sans ouvrage, il lisait des romans, dans sa cage au fond de l’atelier, attendant la commande