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Gymnase le veut, il peut racheter ton engagement. Je serai comte de Rubempré, je ferai fortune et t’épouserai.

— Quelle sottise ! dit Coralie en lui jetant un regard pâle.

— Une sottise ! cria Lucien. Eh ! bien, dans quelques jours tu habiteras une belle maison, tu auras un équipage, et je te ferai un rôle !

Il prit deux mille francs et courut à Frascati. Le malheureux y resta sept heures dévoré par des furies, le visage calme et froid en apparence. Pendant cette journée et une partie de la nuit, il eut les chances les plus diverses : il posséda jusqu’à trente mille francs, et sortit sans un sou. Quand il revint, il trouva Finot qui l’attendait pour avoir ses petits articles. Lucien commit la faute de se plaindre.

— Ah ! tout n’est pas roses, répondit Finot ; vous avez fait si brutalement votre demi-tour à gauche que vous deviez perdre l’appui de la presse libérale, bien plus forte que la presse ministérielle et royaliste. Il ne faut jamais passer d’un camp dans un autre sans s’être fait un bon lit où l’on se console des pertes auxquelles on doit s’attendre ; mais, dans tous les cas, un homme sage va voir ses amis, leur expose ses raisons, et se fait conseiller par eux son abjuration, ils en deviennent les complices, ils vous plaignent, et l’on convient alors, comme Nathan et Merlin leurs camarades, de se rendre des services mutuels. Les loups ne se mangent point. Vous avez eu, vous, en cette affaire, l’innocence d’un agneau. Vous serez forcé de montrer les dents à votre nouveau parti pour en tirer cuisse ou aile. Ainsi, l’on vous a sacrifié nécessairement à Nathan. Je ne vous cacherai pas le bruit, le scandale et les criailleries que soulève votre article contre d’Arthez. Marat est un saint comparé à vous. Il se prépare des attaques contre vous, votre livre y succombera. Où en est-il, votre roman ?

— Voici les dernières feuilles, dit Lucien en montrant un paquet d’épreuves.

— On vous attribue les articles non signés des journaux ministériels et ultras contre ce petit d’Arthez. Maintenant, tous les jours, les coups d’épingle du Réveil sont dirigés contre les gens de la rue des Quatre-Vents, et les plaisanteries sont d’autant plus sanglantes qu’elles sont drôles. Il y a toute une coterie politique, grave et sérieuse derrière le journal de Léon Giraud, une coterie à qui le pouvoir appartiendra tôt ou tard.

— Je n’ai pas mis le pied au Réveil depuis huit jours.

— Eh ! bien, pensez à mes petits articles. Faites-en cinquante