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Vernou parla de la passion de Lucien pour le jeu, et signala d’avance l’Archer comme une œuvre anti-nationale où l’auteur prenait le parti des égorgeurs catholiques contre les victimes calvinistes. En huit jours, cette querelle s’envenima. Lucien comptait sur son ami Lousteau qui lui devait mille francs, et avec lequel il avait eu des conventions secrètes ; mais Lousteau devint l’ennemi juré de Lucien. Voici comment. Depuis trois mois Nathan aimait Florine et ne savait comment l’enlever à Lousteau, pour qui d’ailleurs elle était une providence. Dans la détresse et le désespoir où se trouvait cette actrice en se voyant sans engagement, Nathan, le collaborateur de Lucien, vint voir Coralie, et la pria d’offrir à Florine un rôle dans une pièce de lui, se faisant fort de procurer un engagement conditionnel au Gymnase à l’actrice sans théâtre. Florine, enivrée d’ambition, n’hésita pas. Elle avait eu le temps d’observer Lousteau. Nathan était un ambitieux littéraire et politique, un homme qui avait autant d’énergie que de besoins, tandis que chez Lousteau les vices tuaient le vouloir. L’actrice, qui voulut reparaître environnée d’un nouvel éclat, livra les lettres du droguiste à Nathan, et Nathan les fit racheter par Matifat contre le sixième du journal convoité par Finot. Florine eut alors un magnifique appartement rue Hauteville, et prit Nathan pour protecteur à la face de tout le journalisme et du monde théâtral. Lousteau fut si cruellement atteint par cet événement qu’il pleura vers la fin d’un dîner que ses amis lui donnèrent pour le consoler. Dans cette orgie, les convives trouvèrent que Nathan avait joué son jeu. Quelques écrivains comme Finot et Vernou savaient la passion du dramaturge pour Florine ; mais, au dire de tous, Lucien, en maquignonnant cette affaire, avait manqué aux plus saintes lois de l’amitié. L’esprit de parti, le désir de servir ses nouveaux amis rendaient le nouveau royaliste inexcusable.

— Nathan est emporté par la logique des passions ; tandis que le grand homme de province, comme dit Blondet, cède à des calculs ! s’écria Bixiou.

Aussi la perte de Lucien, de cet intrus, de ce petit drôle qui voulait avaler tout le monde, fut-elle unanimement résolue et profondément méditée. Vernou qui haïssait Lucien se chargea de ne pas le lâcher. Pour se dispenser de payer mille écus à Lousteau, Finot accusa Lucien de l’avoir empêché de gagner cinquante mille francs en donnant à Nathan le secret de l’opération contre Matifat. Nathan, conseillé par Florine, s’était ménagé l’appui de