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une commission allouée par ses associés et qu’il partage avec des Lupeaulx. Aussi vais-je lui proposer un coup de chantage.

— Mais, le chantage, c’est la bourse ou la vie ?

— Bien mieux, dit Lousteau. C’est la bourse ou l’honneur. Avant-hier, un petit journal au propriétaire duquel on avait refusé un crédit, a dit que la montre à répétition entourée de diamants appartenant à l’une des notabilités de la capitale se trouvait d’une façon bizarre entre les mains d’un soldat de la garde royale, et il promettait le récit de cette aventure digne des Mille et une Nuits. La notabilité s’est empressée d’inviter le rédacteur en chef à dîner. Le rédacteur en chef a certes gagné quelque chose, mais l’histoire contemporaine a perdu l’anecdote de la montre. Toutes les fois que tu verras la presse acharnée après quelques gens puissants, sache qu’il y a là-dessous des escomptes refusés, des services qu’on n’a pas voulu rendre. Ce chantage relatif à la vie privée est ce que craignent le plus les riches Anglais, il entre pour beaucoup dans les revenus secrets de la presse britannique, infiniment plus dépravée que ne l’est la nôtre. Nous sommes des enfants ! En Angleterre, on achète une lettre compromettante cinq à six mille francs pour la revendre.

— Quel moyen as-tu trouvé d’empoigner Matifat ? dit Lucien.

— Mon cher, reprit Lousteau, ce vil épicier a écrit les lettres les plus curieuses à Florine : orthographe, style, pensées, tout est d’un comique achevé. Matifat craint beaucoup sa femme ; nous pouvons, sans le nommer, sans qu’il puisse se plaindre, l’atteindre au sein de ses lares et de ses pénates où il se croit en sûreté. Juge de sa fureur en voyant le premier article d’un petit roman de mœurs, intitulé les Amours d’un Droguiste, quand il aura été loyalement prévenu du hasard qui met entre les mains des rédacteurs de tel journal des lettres où il parle du petit Cupidon, où il écrit gamet pour jamais, où il dit de Florine qu’elle l’aide à traverser le désert de la vie, ce qui peut faire croire qu’il la prend pour un chameau. Enfin, il y a de quoi désopiler la rate des abonnés pendant quinze jours dans cette correspondance éminemment drôlatique. On lui donnera la peur d’une lettre anonyme par laquelle on mettrait sa femme au fait de la plaisanterie. Florine voudra-t-elle prendre sur elle de paraître poursuivre Matifat ? Elle a encore des principes, c’est-à-dire des espérances. Peut-être garde-t-elle les lettres pour elle, et veut-elle une part. Elle est rusée, elle est mon élève. Mais quand