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sonne ne soupçonna la divergence de sentiments qui existait entre les trois députés du Cénacle et les représentants des journaux. Ces jeunes esprits, si dépravés par l’habitude du Pour et du Contre, en vinrent aux prises, et se renvoyèrent les plus terribles axiomes de la jurisprudence qu’enfantait alors le journalisme. Claude Vignon, qui voulait conserver à la critique un caractère auguste, s’éleva contre la tendance des petits journaux vers la personnalité, disant que plus tard les écrivains arriveraient à se déconsidérer eux-mêmes. Lousteau, Merlin et Finot prirent alors ouvertement la défense de ce système, appelé dans l’argot du journalisme la blague, en soutenant que ce serait comme un poinçon à l’aide duquel on marquerait le talent.

— Tous ceux qui résisteront à cette épreuve seront des hommes réellement forts, dit Lousteau.

— D’ailleurs, s’écria Merlin, pendant les ovations des grands hommes, il faut autour d’eux, comme autour des triomphateurs romains, un concert d’injures.

— Eh ! dit Lucien, tous ceux de qui l’on se moquera croiront à leur triomphe !

— Ne dirait-on pas que cela te regarde ? s’écria Finot.

— Et nos sonnets ! dit Michel Chrestien, ne nous vaudraient-ils pas le triomphe de Pétrarque ?

— L’or (Laure) y est déjà pour quelque chose, dit Dauriat dont le calembour excita des acclamations générales.

Faciamus experimentum in anima vili, répondit Lucien en souriant.

— Eh ! malheur à ceux que le Journal ne discutera pas, et auxquels il jettera des couronnes à leur début ! Ceux-là seront relégués comme des saints dans leur niche, et personne n’y fera plus la moindre attention, dit Vernou.

— On leur dira comme Champcenetz au marquis de Genlis, qui regardait trop amoureusement sa femme : — Passez, bonhomme, on vous a déjà donné, dit Blondet.

— En France, le succès tue, dit Finot. Nous y sommes trop jaloux les uns des autres pour ne pas vouloir oublier et faire oublier les triomphes d’autrui.

— C’est en effet la contradiction qui donne la vie en littérature, dit Claude Vignon.

— Comme dans la nature, où elle résulte de deux principes qui