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en politique comme en journalisme une foule de cas où les chefs ne doivent jamais être mis en cause. Si Finot devenait un personnage politique, son oncle deviendrait son secrétaire et recevrait pour son compte les contributions qui se lèvent dans les bureaux sur les grandes affaires. Giroudeau, qu’au premier abord on prendrait pour un niais, a précisément assez de finesse pour être un compère indéchiffrable. Il est en vedette pour empêcher que nous ne soyons assommés par les criailleries, par les débutants, par les réclamations, et je ne crois pas qu’il y ait son pareil dans un autre journal.

— Il joue bien son rôle, dit Lucien, je l’ai vu à l’œuvre.

Étienne et Lucien allèrent dans la rue du Faubourg-du-Temple, où le rédacteur en chef s’arrêta devant une maison de belle apparence.

— Monsieur Braulard y est-il ? demanda-t-il au portier.

— Comment monsieur ? dit Lucien. Le chef des claqueurs est donc monsieur ?

— Mon cher, Braulard a vingt mille livres de rentes, il a la griffe des auteurs dramatiques du boulevard qui tous ont un compte courant chez lui, comme chez un banquier. Les billets d’auteur et de faveur se vendent. Cette marchandise, Braulard la place. Fais un peu de statistique, science assez utile quand on n’en abuse pas. À cinquante billets de faveur par soirée à chaque spectacle, tu trouveras deux cent cinquante billets par jour ; si, l’un dans l’autre, ils valent quarante sous, Braulard paye cent vingt-cinq francs par jour aux auteurs et court la chance d’en gagner autant. Ainsi, les seuls billets des auteurs lui procurent près de quatre mille francs par mois, au total quarante-huit mille francs par an. Suppose vingt mille francs de perte, car il ne peut pas toujours placer ses billets.

— Pourquoi ?

— Ah ! les gens qui viennent payer leurs places au bureau passent concurremment avec les billets de faveur qui n’ont pas de places réservées. Enfin le théâtre garde ses droits de location. Il y a les jours de beau temps, et de mauvais spectacles. Ainsi, Braulard gagne peut-être trente mille francs par an sur cet article. Puis il a ses claqueurs, autre industrie. Florine et Coralie sont ses tributaires ; si elles ne le subventionnaient pas, elles ne seraient point applaudies à toutes les entrées et leurs sorties.

Lousteau donnait cette explication à voix basse en montant l’escalier.