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comme la vapeur dans une machine à soupape. Ainsi, le roi fait du bien, si le journal est contre lui, ce sera le ministre qui aura tout fait, et réciproquement. Si le journal invente une infâme calomnie, on la lui a dite. À l’individu qui se plaint, il sera quitte pour demander pardon de la liberté grande. S’il est traîné devant les tribunaux, il se plaint qu’on ne soit pas venu lui demander une rectification ; mais demandez-la-lui ? il la refuse en riant, il traite son crime de bagatelle. Enfin il bafoue sa victime quand elle triomphe. S’il est puni, s’il a trop d’amende à payer, il vous signalera le plaignant comme un ennemi des libertés, du pays et des lumières. Il dira que monsieur Un Tel est un voleur en expliquant comment il est le plus honnête homme du royaume. Ainsi, ses crimes, bagatelles ! ses agresseurs, des monstres ! et il peut en un temps donné faire croire ce qu’il veut à des gens qui le lisent tous les jours. Puis rien de ce qui lui déplaît ne sera patriotique, et jamais il n’aura tort. Il se servira de la religion contre la religion, de la charte contre le roi ; il bafouera la magistrature quand la magistrature le froissera ; il la louera quand elle aura servi les passions populaires. Pour gagner des abonnés, il inventera les fables les plus émouvantes, il fera la parade comme Bobèche. Le journal servirait son père tout cru à la croque au sel de ses plaisanteries, plutôt que de ne pas intéresser ou amuser son public. Ce sera l’acteur mettant les cendres de son fils dans l’urne pour pleurer véritablement, la maîtresse sacrifiant tout à son ami.

— C’est enfin le peuple in-folio, s’écria Blondet en interrompant Vignon.

— Le peuple hypocrite et sans générosité, reprit Vignon, il bannira de son sein le talent comme Athènes a banni Aristide. Nous verrons les journaux, dirigés d’abord par des hommes d’honneur, tomber plus tard sous le gouvernement des plus médiocres qui auront la patience et la lâcheté de gomme élastique qui manquent aux beaux génies, ou à des épiciers qui auront de l’argent pour acheter des plumes. Nous voyons déjà ces choses-là ! Mais dans dix ans le premier gamin sorti du collége se croira un grand homme, il montera sur la colonne d’un journal pour souffleter ses devanciers, il les tirera par les pieds pour avoir leur place. Napoléon avait bien raison de museler la Presse. Je gagerais que, sous un gouvernement élevé par elles, les feuilles de l’Opposition battraient en brèche par les mêmes raisons et par les mêmes articles qui se font